jeudi 30 août 2012

Décalage Permanent.



- Bonjour, Monsieur le proviseur.
Je suis devant un établissement public, un de ces collèges-lycées créés pour élever nos enfants. N'ayant personne avec moi, je m'entraîne à parler aux autorités, car l'avenir de la jeunesse me tient à cœur.
- Bonjour oui, bonjour Monsieur le proviseur, vous êtes gentil, et les enfants me sont chers.
Je m'entraîne à parler seule, car je suis timide. Moi, les gens me font peur, c'est pour ça qu'il m'arrive de paraître agressive, mais j'ai le fond bon.
Lasse, je me repose sur un banc du parc, où je me donne à cœur joie, alternant les rôles avec vivacité.
- Bonjour, oh là eh, bonjour Monsieur le proviseur, je suis bien heureuse de vous rencontrer, monsieur le clown – oui le clown, le clown, le clown.
Ah mince ! Je me suis trompée !
Je recommence.
- Eh bonjour, Monsieur le proviseur, vous êtes très gentil, et moi aussi. Je suis venu vous dire...
- Bonjour Madame !
- Oui c'est ça, je suis venu vous dire quelque chose d'important, qui me tient absolument à cœur.
- Mais entrez donc !
Car, bien sûr, il me demandera d'entrer, car je suis jolie.
- Bien sûr que j'entre, vous me prenez pour qui ?
- Asseyez-vous.
Bon sang pourquoi ces gens me scrutent-ils ainsi ? Ca se voit qu'ils sont pas timides !
Je continue.
- Bonjour Monsieur, vous allez bien ?
- Oui, et vous-même ? Que me vaut ce plaisir ?
- Eh bien, tout comme vous, j'ai à cœur l'éducation. J'aimerais faire de nos chers bambins, nos si mignonnes petites blondes des têtes.
- Je vois.
- Vous comprenez.
- Mais continuez.
- Car le problème, voyez-vous, est qu'ils sont jeunes.
- Hmm...
- Ils sont jeunes donc ils ont du potentiel, mais il faut les dresser afin qu'ils acquièrent la Voie.
- Je ne vous suis pas : allez droit au but, je ne suis plus si disponible.
- Ah beh pourquoi, ça vous intéresse pas, l'avenir de nos chers mômes ?
- Bien sûr. Je n'y peux rien si mon emploi du temps est chargé.
- Ah bah vous êtes un égoïste, c'est ça !
- Mais non, non non non !
- Faudrait savoir, vous m'écoutez ou vous m'écoutez pas ?
- Je ne vous écoute pas. Maintenant, sortez !
- Ah bah c'est la meilleure ! Egoïste ! Connard ! Espèce de sacripant !
- Mais bien sûr ! Sortez ou j’appelle les vigiles !
Merde, merde, merde, même dans mes rêves je foire tout ! C’est pas possible, je ne mérite pas pareil sort ! Il s’agit d’un crime épouvantable, abominable, mais qu’ai-je fait pour devoir le subir, hein ? J’ai le fond bon mais je suis timide.
Je me reprends : peut-être devrais-je lui parler en vrai ; ainsi, peut-être retrouverai-je à coup sûr l’entière disponibilité de mon esprit.
Je sonne à la grille.
- Qui êtes-vous ?
- Je veux parler au proviseur de cet établissement !
- Vous avez rendez-vous ?
- Oui !
J’attends.
- Il me dit que non ! Que lui voulez-vous ?
- Je suis une envoyée du ministère de l’Education Nationale !
- Ah bon ?
- Ouvrez-moi cette putain de porte !
Et ça s’arrête là. Cette grognasse ne réagit pas : trop dur pour elle, aux ordres hein, une pantine, une mégère abominable ne méritant qu’une chose : la mort ! La mort ! La mort ! La mort !
Je ne le clame que dans ma tête, afin d’éviter le Nécessaire Aboutissement de mes tergiversations, à savoir l’inaccessibilité du Grand Maître, c’est-à-dire à l’heure actuelle le proviseur.
- Méchant ! Méchant ! me hasardé-je. Méchant méchant méchant méchant méchant ! continué-je en me tirant légèrement les cheveux.
On me regarde bizarrement, car je suis timide : toujours cette peur de la différence ! On est aux normes, donc on ne comprend pas ce qui en sort ! Il est en effet tellement agréable de s’inscrire en la Sécurité Conforme ! Il s’agit d’une évidence, de la Voie qu’ils croient Miraculeuse de l’atmosphère terrestre alors qu’il ne s’agit seulement que de la civilisationnelle ! Idiots ! Idiots ! Vous n’êtes que des imbéciles ! Je ne vous aime plus, et cela fait bien longtemps ! Allez mourir en Enfer ! Oui ! Brûler ! Allez brûler, et plus vite que ça ! Je suis trop bonne de ne l’affirmer que dans ma tête, car je pourrais très bien le proclamer à voix haute, avec un micro, contacter les journaux ! La presse internationale ! Bande de méchants finis ! Allons bon ! J’ai le fond bon, moi, oui ! Cela prouve, cela prouve !

Ah, qu’est-ce que je fais à m’embêter avec ces questions ! Je devrais plutôt chercher un autre établissement, ou mieux encore, une porte… Non, tiens. Une école pour les gosses ! Une crèche, un collège ! Oh je sais pas. Je sais pas, moi. J’hésite, en plus je ne sais pas tout-à-fait comment m’y prendre, en fait je suis un peu comme l’un de ces jeunes, en quête d’une identité factice qu’ils croient pourtant déjà détenir mais en fait non, car ils découvrent leurs corps.
- Découvre ton corps, Mademoiselle !
Je m’entraîne. Je suis retournée sur mon banc, je m’entraîne à parler, car sinon je ne le fais pas et je me lasse et je perds l’habitude.
- Mademoiselle, bonjour ! Tu n’as que treize ans, donc tu dois découvrir ton corps, afin d’acquérir l’Absolue Certitude de ton bien-être.
Hahaha. Ce que je suis drôle ! Mais bon, je m’ennuie un peu, par manque d’interlocuteur.
Tiens, ça sonne ! Je vais foncer dans le tas, et voir où se trouve monsieur le Proviseur, afin de lui dire deux mots. Haha.
Il y a beaucoup de collégiens, ça pullule ! Vite je fonce. À trois, je cours : un, deux, trois !
- Zouuuuuuuuuu ! Tin, tintin, tintin, tintin, tintiiiiin ! Tintintintintin, tin, tintintintintin, tintintiiiiiiiiin ! Tintintintintin, tin, tintintintintin, tintintiiiiiiiiiiin !  
Et zou, et zou, et zou, hahaha ! Je suis parvenue à entrer, et devant les surveillants, parmi les gosses, hahaha ! Je suis contente de moi ! Cela me rappelle ma propre jeunesse ! Hahaha ! Que d’aventures, que d’efforts et d’essoufflements mais… pour la bonne cause ! Haha !
Je vois le bureau du proviseur, mais il est après celui du secrétariat, je pense alors qu’il s’agit de la Première puis de la Seconde Etape !
Toc toc toc !
- Entrez !
J’angoisse, car je suis timide. J’entre.
- Bonjour, je voudrais voir monsieur le Proviseur.
- Il est derrière. C’est au sujet ?
- Je suis journaliste.
De son siège elle toque à sa porte, ouvre, marmonne quelques mots, ferme et me fait son plus beau sourire.
- Il va vous recevoir dans cinq minutes.
Hahaha, hahahaha, je suis heureuse ! Je vais peut-être changer l’avenir d’au moins la totalité de ces bambins, de ces chères têtes blondes, afin qu’ils deviennent des lumières, absolument pures et morales, pour le Bien de l’Humanité et la Fin de l’Histoire et le dernier des hommes, pour clore enfin le Grand Livre des Mathématiques et, qui sait, voyager dans le temps.  Je suis pour l’avenir. Hahaha ! Je suis passée devant les surveillants, c’est si drôle ! Hahaha ! Je suis embêtante, hein ! C’est parce que j’ai le fond bon. L’Absolue Pureté… Ah !
Je souris en même temps, prenant garde de ne laisser mes Intérieurs Mots au-dehors, car il s’agit de mon intimité, celle-là même que je ne dévoilerai qu’au proviseur, car je suis une femme, et jolie. La secrétaire ne m’intéresse pas, moi je préfère parler, au gré du vent parler, jouer, me balancer sur ma chaise ou sur une balançoire, au gré de mes envies. Me balancer tout court. Aaaaaaah, c’est si bon…
- Vous allez bien ? me demande la secrétaire.
- Oui, je me balance car ça me calme, ainsi ça me calme.
- Voulez-vous un calmant, une aspirine ?
- Ah je veux bien une aspirine, car ça pétille ! C’est pétillant !
- Bien, je reviens. Ne touchez à rien.
Non mais elle me prend pour qui ! Tiens, la porte s’ouvre ! C’est gentil, cela doit être le proviseur, je suis tout excitée ma foi, je vais découvrir le monde !
- Madame Brande est partie ?
- Apparemment.
- Bien, donc vous vouliez me voir ?
- C’est cela même.
Je le suis ; il me fait signe de m’asseoir… Ah !
- Comme quoi, il suffit d’oser ! C’est dur, quand on est timide !
Il s’assoit à son tour, me regardant d’un drôle d’air. Bah quoi, j’ai absout ma timidité, pour atteindre, je l’espère bientôt le Pur, je ne le dis pas pour éviter la Frayeur à même dans vos yeux de s’accroître.
- Bonjour, Monsieur.
- Euh, oui, bonjour. Donc, qu’est-ce qui vous amène ?
- À votre avis ? On vous a pas dit ?
- Non.
- Que vous a-t-on dit ?
- Rien.
- Ah.
C’est alors que par réflexe, je me frappe le sein. Je me reprends – il n’a pas vu.
- Ah, oui, en fait… C’est dur à dire.
- Comment cela ? Qui êtes-vous ? Commencez donc par vous présenter.
- Je m’appelle Guenièvre, j’ai vingt et trente ans, je suis là pour le Combat du Bien, car je suis journaliste.
- Ah !
- C’est la raison pour laquelle l’éducation de nos chers mômes me tient à cœur : il s’agit même, je vous le dis haut et fort, il s’agit même d’une véritable obsession !
- Ah !
- C’est pour ça que je suis venue vous voir : pour éclaircir quelques points, afin d’avoir plus en vue notre situation, d’ailleurs toutes, afin d’acquérir une Puissance que nous n’avons pas encore, pour… sauver le monde, ou presque, du moins métaphoriquement, si vous me suivez, Monsieur.
- Je ne suis pas certain.
- Cela n’a aucune espèce d’importance, laissez-moi parler et ne me coupez pas, sinon jamais vous ne saurez la Vérité, que du reste je n’ai pas encore acquise, car il s’agit de mon but.
- Oui…
- Vous dites ça en vous tapotant les pouces, cela n’est pas crédible pour l’être supérieur que vous devriez incarner, en tant que proviseur d’un établissement réputé, vous n’êtes vraiment pas crédible mais je ne vous en veux pas, car vous êtes un homme.
- Haha.
- Ah, je vous fais rire, alors ça c’est la meilleure car ce n’était pas mon but, moi je suis sincère, moi je dis toujours la vérité, mais avec un petit vé. Pour faire gentil, parce que c’est mignon et que justement, je ne suis guère pédante, j’essaie le moins possible déjà parce que cela cacherait un manque de ma part de confiance alors que précisément je lutte contre ma timidité ! Ah ! Sacrée timidité ! Elle gâche la vie, hein ! Complètement ! C’est mon amygdale, mais je refuse toute perspective de psychochirurgie car je veux rester pure, et complète, donc il faut que je sois moi-même, en pleine connaissance de mes Totales Capacités, pour préserver le potentiel du monde qui du reste ne se fera pas tout seul ! Ah, ça ! Il y a du chemin, n’est-ce pas, Monsieur !
- Certainement, Madame.
- Madame, Mademoiselle, Monsieur ! Voilà les trois déclinaisons ! Et pour ceux qui ne se reconnaissent dans aucune catégorie ! Elle est bien bonne ! Pour moi, cela sera : Cyclope ! Appelez-moi Cyclope comme moi je vous appelle Monsieur, car vous êtes un homme bien conventionnel de par vos fonctions, mais cela fait longtemps que je suis bien installée dans ma maison, alors je me suis entraînée à parler pour le grand jour, d’où ma logorrhée.
- Vous l’admettez.
- Je suis quelqu’un de spécial.
- Ah, ça !
- C’est la raison pour laquelle il me faudra du matériel, et tout de suite ! Vous êtes patriote ?
- Pas particulièrement.
- Quelles sont vos opinions politiques internationales ?
- Oh, pas de politique, je vous en supplie ! Ne m’en parlez pas.
On dirait qu’il transpire, le bougre !
- Vous n’avez donc pas à cœur la tranquillité de nos enfants, leur… croissance intellectuelle ? Les os, les boyaux, les intestins et les veines, l’atlas et l’axis, la merveilleuse Loire et le feldspath saupoudrés d’hélium dont les noyaux sont fabriqués à partir de protons ?
- Vous m’ennuyez.
- Eh bien la réciproque est vraie. Vous voyez, je n’ai pas appris à parler, je suis toujours restée en retrait…
- On se demande bien pourquoi.
- C’est facile de se moquer, quand on est aux normes. Mais moi…
Merde, je vais pas pleurer, quand même ! Sensible ! Sensible ! Paf, paf, et que je me fous des baffes !
Le monsieur se lève et, d’un grand sourire, me tend sa main.
- Eh mais j’ai pas fini !
- J’ai été ravi de vous accueillir !
- Jamais je ne prendrai votre main, vous entendez ? Il s’agit d’une question de vie ou de mort ! Bien sûr !
Il me pousse ! Alors ça, c’est la meilleure !
Cela dit j’ai mal à la gorge, alors je me laisse faire, et en profite pour me diriger vers la cour.
L’endroit où les enfants s’amusent.
Hé, les enfants ! Voyez ce grand espace : à intervalles régulières, vous devez jouer, parler ensemble, et cela dès votre plus jeune âge. Dès la maternelle, afin de vous reposer de vos cours si laborieux. Afin de vous recréer. Ah ! De vous essouffler, car c’était fatigant, vous reposer en courant vous socialisant, vous faire des amis car il s’agit de votre seule envie, c’est la chose la plus facile au monde, car l’homme est un animal social.
Hahaha.
L’endroit où les enfants doivent s’amuser ! N’entrez surtout pas à l’intérieur… Il faut rester dehors, afin que des surveillants vous aient à l’œil pour que vous ne fassiez pas de bêtises, mais les moqueries sont autorisées, car elles stimulent l’imagination.
Je m’ennuie. Mon entretien avec le proviseur fut raté, mais je demeure contente de mon essai car lui seul compte : j’ai bougé.
Je m’assois alors sur un banc de la cour, au milieu des mômes. J’inspire profondément, je souris, je prends mon mp3 dans lequel je me mire quoique en noir : les cheveux ébouriffés, je pourrais en être, mais j’ai oublié mon âge. Guenièvre, tu ne feras pas long feu !
Comment se comportent les chers bambins ? Haha. Ils courent, tous les jours, dans la cour ils courent, jouent au foot avec une balle en mousse. Mais surtout, ils parlent. Ils se sont fait bobo, car la mer est chaude, au loin… Il faut à tout prix que je vainque ma timidité pour m’incruster dans une conversation, de préférence de sixièmes.
Je perçois un groupe de jeunes filles : quatre, parlant en rond par terre. Je m’approche, mais pas tout à fait, je reste sur un banc à côté. Je regarde mon sac : j’ai un Garfield, alors je le prends, je m’en régale mais ne le lis pas, je suis trop timide alors je n’écoute que de loin, sous la compagnie de Jon et de Garfield – et d’Odie. Et de la chatte rose, amoureuse de ce gros lard qu’on se demande bien pourquoi, mais je le sais car j’en ai fait l’expérience, car je suis un homme, disons dans la mentalité, car je suis jolie. Ah !
Au lieu de tergiverser, je vais plutôt écouter ce qu’il dit, ce gros tas de mioches, d’imbéciles finis avenir de notre nation.
- T’as vu ce que la prof a dit à Raymond ! Non mais n’importe quoi !
On s’appelle encore Raymond, aujourd’hui ? Incroyable, en effet. Je ne félicite pas ses parents.
- Mais trop, moi j’dis elle s’est immiscée dans son intimité, en quoi ça la regardait ?
Si c’est du prénom qu’elle s’est moquée, je ne peux que l’approuver. Je ne vois pas où est le problème, c’est même très bien, moi je suis contente, agréable, d’humeur sincère et je vous aime.
- Mais clair ! En plus elle arrête pas de coller !
- Ouais !
- Pff et si vous arrêtiez de parler de ça ? J’sais pas moi, on pourrait parler de quelque chose de plus intéressant, on s’en fout de Raymond.
- Tu dis ça parce que t’es amoureuse !
- Mais non !
- Si !
- Non !
- Siiiiiii !
Et elles la chatouillent. C’est d’un chiant. Il faut à tout prix que j’intervienne, où la nation bientôt s’écroulera ! Ah, quelle horreur ! Quelle horreur ! Vite, vite, vite, que j’intervienne, afin d’éliminer tous mes a priori digne du dernier Empire ! Ah, de l’eau, de l’eau, vite, épouvantez-moi afin d’établir avec mes pseudo-camarades des relations saines, et vite, et maintenant !
- Euh excusez-moi.
- Oui ?
Et elles rigolent encore. J’ai peur pour la nation prochaine, dont le triste sort est de segmenter la première dont elle sera malheureusement séparée !
- Vous êtes élèves ?
- Euh non on est profs ! Haha.
- Professeurs de biologie ?
- On dit SVT maintenant.
- À cause des lettres ?
- Euuuh… Vous êtes qui ?
- Je suis votre remplaçante de bio, précisément, et je voulais faire un sondage, auparavant mais encore à cet instant, pour le bien de tous, soyez-en certaines.
- Euuuuh…
Et la petite blonde se toque la tête.
- Ah bah pourquoi tu te toques la tête ? T’es malheureuse ? Faut pas, faut être heureux dans la vie, sinon elle vous mange.
Elles sont partagées entre malaise et fou rire, mais le premier je crois prend d’un poil le dessus.
- Je voulais savoir si vous vous aimiez.
- Bah ça se voit non ?
- Tu ne comprends pas. Je veux savoir si tu t’aimes, toi, si tu t’apprécies.
- Euuuh…
Qu’est-ce qu’elles sont chiantes, mais qu’est-ce qu’elles sont chiantes !
- Je m’ennuie, vous êtes chiantes, stupides ! Handicapées mentales ! Aaaaaaaah !
Je me retiens de retenir ma tête avec mes mains, car je sais qu’elle ne partira pas ; elle est solide ; c’est physique.
Je m’ennuie, moi ! Eh, oh, j’ai besoin de distraction, de vérité, pas de seuil de pauvreté ! Elles sont connes ces gosses, incapables de parler philosophie ! Aaaaaaah ! Bêtes ! Bêtes ! Bêtes ! Grognasses ! Vous n’êtes que des pierres de rigidité, des grognasses, ah ça je vous le dis ! Je vous le dis mes chéries !
Bon, qu’est-ce que je suis censée faire, maintenant ?
Je n’ai qu’à sortir : ce n’est pas demain la veille qu’on éduquera les enfants ! Bizarres spécimens ! Dégénérés ! Moutons de panurge ! Sacripants !
Je respire le bon air du dehors. Hummm… Aaaaaah… Je suis bien. Je me dirige vers le parc, m’installant près des champignons qui, tout mignons se laissent voir. Je les aime ; je les porte absolument dans mon cœur… de pierre. Haha !
C’est pas tout, mais il faut que je m’entraîne à nouveau à parler !
- Bonjour, Cyclope.
- Oh, vous me témoignez, Madame, Mademoiselle Monsieur, une marque de respect inappropriée !
- Pourquoi ?
- Eh bien, parce que c’est rare ! Je vous remercie, croyez-moi chaleureusement, je vous remercie du fond du cœur !
- J’en suis ravie.
- Moi de même !
- Un gros cylindre pour tordre l’espace-temps, et ainsi acquérir de la Puissance, mais métaphoriquement.
Ah, merde, merde, merde ! Un envahisseur !
Et puis je ne sais même pas avec qui je parle : il doit s’agir d’un piège ! Au secours, rendez-vous-en bien compte s’il vous plaît, nous avons besoin de protection, car seule son infinité est à même de nous envelopper dans notre entier, afin de nous ôter le vent du Capricieux Tourbillon. Qui est la personne avec qui je parle ? Qui est-elle ? Et si un doute survenait en moi dans le monde réel ? Ah, merde alors ! Je suis dans la merde, maintenant, je suis dans les ennuis… Ah…

- Vous êtes qui, vous ?
- Je ne sais pas.
Merde, merde, merde ! Et si c’était mon double ? Ah, mince, on veut me voler mon identité ! La mienne propre ! La mienne ! La mienne, d’identité, on veut me voler tout court ! Non, non, non, non, non, non, non, non, non, non, non, non, non !
Aaaaaah…
- Tu veux me voler mon identité et ça ne se passera pas comme ça !
Oh et ces gens qui me regardent, qui ne savent pas ce que c’est d’être timide !
- Oui je suis timide, jeunes gens, et alors ? Ça ne vous est jamais arrivé ? Oh je vous crois volontiers, votre amygdale est réduite et vous êtes des… inconscients ! Des inconscients ! Des inconscients ! Ah, mince, grognasses ! Rentrez dans vos lanternes ! Vous n’êtes que des lutins ! Il faut y retourner, à mener vos complots contre les sols, je suis personnellement trop grande, et lourde, restez dans vos diamants moi, je reste en-dehors de l’argent, je suis contre le principe même de monnaie !
Et ils soupirent, mais bon sang qu’ai-je fait à notre Seigneur Dieu pour ne jamais obtenir de réponse à mes questions ! Sinon par moi-même, certes, mais enfin, tout de même !
- Il ne me reste qu’une seule solution : me rendre à la police !
Ça m’est venu d’un coup, comme ça. J’ignore vraiment la motivation profonde de ma phrase, là pour le coup je ne me comprends pas. Un garçon joue tout seul avec des osselets.
- Ça existe encore ça ? Tu te crois en Grèce, dis-moi petit garçon, est-ce que tu connaîtrais-tu par hasard la raison pour laquelle j’ai dit ce que j’ai dit tout à l’heure, s’il te plaît petit garçon, dis-le moi je t’en supplie, car je ne t’ai rien fait de mal, je n’ai rien à me reprocher.
Oh ! Il a les yeux… NOIRCISSANTS !
- Aaaaaaaaaaaaaaah !
Je n’en peux plus : je me bloque la tête, courant partout – autrui n’existe plus, je veux renouer avec ma propre personne, mon être, mon aimée, mon aimée, mon moi-même !
- Vous ne volerez jamais mon identité ! Jamais ! Jamais ! Jamais !
Non, jamais vous ne le ferez, dussiez-vous en mourir ! Ah… Ah… C’est douloureux, mais ça passe. Rouge, les yeux humides, les cheveux ébouriffés, je regarde autour de moi : un groupe de gens m’observe puis, une seconde après mon réveil voit ses composants détourner leurs regards.
- Ah… Vous m’en voulez… parce que je suis timide… Mais je ne me laisserai pas faire… Ah, ça, jamais… Vous ne me comprenez pas, car ne le pouvez, et c’est précisément la raison pour laquelle je ne vous en veux pas, car vos capacités intellectuelles sont réduites, moi non car j’ai de l’imagination, de la fantaisie, du brouillard tandis que vous eh bien, vous restez au village [je chante la musique du village de Zelda, puis de la grotte]. Avouez que ça a plus de gueule, hein, on découvre les minéraux, les serpents… Même si les gardes sont un peu cons, mais allez savoir, allez vous battre, et on en reparlera. Je suis épuisée.
Et c’est vrai. J’ai mal à la gorge, et même aux membres. Je ne sais pas quoi faire, je suis assez confuse… La vérité de ce monde, ce n’est décidément pas pour aujourd’hui !
 

Oh, me vient une idée ! Je vais envoyer un trait à monsieur le Proviseur oui, je vais lui envoyer un gros trait, à vos crayons Madame, Mademoiselle, à vos crayons Cyclope !
- Je préfère ça, Monsieur l’homme conventionnel… Hihi ! Puis-je vous appeler Conventionnel ?
- Mais faites donc !
- Hihihi, j’en suis fort aise, ainsi vous avez ma parole : jamais plus je ne vous appellerai Monsieur !
- Merci.
- Vous voyez donc que je vous respecte ! Je suis sans doute la seule.
Mais à qui je parle ? On va bien voir.
- Oh, c’est certain…
- Cessez immédiatement, Monsieur, de m’appeler ainsi !
- Que voulez-vous dire ?
- Je ne sais plus.
- Je ne vous suis plus.
- Moi non plus.
- Pourquoi m’avez-vous appelé… Monsieur ?
- Je n’en sais rien, moi, oh, hé !
- Est-ce à dire que vous ne me respectez plus ?
- Moi ? Vous voulez dire mon inconscient…
- Voilà.
- Ben sans doute, enfin j’en sais rien, d’ailleurs je ne sais même pas qui vous êtes : à qui ai-je donc affaire ? Qui êtes-vous ?
- C’est à vous de le dire.
- Ah bah je peux pas, je ne vous vois même pas… oh…
- Quoi ?
- Une étoile, là-bas, brillante, brillante !
- Où cela ?
- Derrière vous, derrière la fenêtre : elle est… rosée !
- Est-ce à dire qu’elle s’éloigne ?
- Sans doute : il s’agit de l’effet Doppler, c’est prouvé Conventionnel.
- Vous me respectez !
- Grand bien nous en fasse.
- Vous… voulez sortir, boire un verre ?
Ah j’ignore que lui répondre ! Peut-être.
- Quelle est la bonne réponse ?
- Celle que vous voulez.
- On tire au sort.
Ah je m’ennuie ! Non, pas d’amour avec un conventionnel !
- Pas d’amour avec un conventionnel !! Non !!
Personne ne me regarde car c’est le soir alors dans ce parc il n’y a plus personne, et je m’ennuie. Un clochard, là-bas.
- Bonjour !
Merde, je suis timide alors je m’en vais, il sent mauvais. Il faut que j’y aille, que j’aille récupérer les enfants, que je fasse la vaisselle afin d’acquérir la Sécurité Primordiale, essentielle à ma propre vitalité, et dormir pour souffler un peu.
Mais où aller ? Où aller ? Où aller ?
- Où aller ?!!
Aaaah, et personne qui répond ! Où aller, où aller ? Je ne sais pas, moi, j’en ai marre de tout ce mépris à mon égard ! Et cet enfant qui me regardait, les yeux noirs épouvantés ! Pourquoi ? Je suis jolie, je suis un homme mentalement ! Je ne suis pas comme les autres. Je suis bizarre. Parce que je suis timide, mais est-ce un mal, est-ce de ma faute ? Ah, sans doute… Qui voir ? Où aller ? Ah, mince alors, je n’ai pas d’idée… Je peux toujours porter plainte à la police.
- Alors, qu’est-ce qui vous amène ?
Je suis assise dans le fauteuil, un flic me parle.
- Je désirerais porter plainte, s’il vous plaît Monsieur.
- Ah, on s’en doute ! Expliquez-moi tout.
- Ca ne s’ébruitera pas ?
- Mais non !
- Eh bien…
- Oui ?
- Je ne sais vraiment pas comment vous l’annoncer…
- Prenez votre temps, vous êtes ici en territoire ami.
- Je n’en suis pas si sûre.
- Mais si !
- Mais non… Et je suis si fatiguée… épuisée…  Regardez.
- Où cela ?
Je lui montre mon bras.
- Je ne vois rien !
- Il m’a agressée ! Il faut à tout prix que vous interveniez, ou il irait me tuer !
- Qui donc ? Votre ami ?
- Je n’ai pas d’ami. Je suis seule au monde.
- De quoi parlez-vous ?
- De ma solitude.
- Soyez plus claire.
- Je suis seule au monde, personne ne m’aime, ni ne me comprend. On me rejette, partout me rejette depuis ma plus tendre enfance, et je devrais tout accepter avec le sourire ! J’ai horreur du contact d’autrui, mais ce n’est pas faute de faire des efforts, la preuve avec vous ! Je me surpasse, tous les jours je me surpasse en parlant seule, pour m’entraîner car je suis timide. Mais je me soigne ! Je m’entraîne, encore et encore et pourtant, personne ne m’adresse le moindre remerciement ! Ils sont sonnés, les gens, pas possible ! J’ai parlé à des collégiens tout à l’heure, qui m’ont prise pour une folle, comme dans l’ancien temps, ils m’ont exclue, oui, ils m’ont exclue, comme il y a dix ans ! Je ne sais même plus mon âge…
- Déclinez votre identité.
- Non.
- Pourquoi ? Si vous voulez porter plainte, il faut bien que nous sachions qui vous êtes.
- Oui mais non, cela ne se passera pas ainsi !
- Je suis nouveau.
- Ah merde alors ! Vous comprenez mon problème ?
- Non, il n’est pas référencé dans mon dictionnaire. Je vais voir.
Il se tourne.
- Eh Nico, viens voir !
- Ouais ?
Il vient.
- La madame elle voudrait porter plainte parce qu’elle est seule au monde : est-ce répertorié dans nos annuaires ?
- Ah bah j’crois pas la p’tite dame, j’crois pas nan.
- Hahaha.
- Hahaha !
- Ah elle est bien bonne, eh !
- Si c’est comme ça que vous faites votre travail, je ne vous félicite pas, messieurs ! Je vous appelle ainsi car je ne vous respecte pas ! Moi, c’est Cyclope ! Et point barre !
Je pleure. Ils se moquent de moi ! Encore une fois… C’est toujours pareil, j’en ai marre j’en ai marre ! Et je ne sais même plus où loger…
- Je ne sais pas où aller je suis seule, je n’ai pas de logement.
- On peut p’t’être vous aider ?
- Je vais vous frapper sur le champ.
Alors je les frappe : BAM ! BAM !
- JE M’APPELLE JAMES BOND, ET JE M’EN VA CONQUERIR LE MONDE ! JE VAIS VOLER DANS LES AIRS CAR VOUS NE MANQUEZ PAS D’AIR ! [Je chante la musique des Super Nanas]. Je suis Rebelle ! Je suis Rebelle ! Je suis Rebelle ! Et paf ! Et paf ! Prenez-vous ça dans vos gueules, messieurs les Mojojojo !
- Elle est folle elle est folle.
Je jouis.
On intervient, on me bloque les bras.
- Vous êtes gentils ! leur dis-je.
Ils ont le nez en sang.
- Vous allez vous calmer oui ?
- Ca y est. Je voulais simplement me libérer.
- Ah ben c’est réussi !
- Bien sûr, car l’étoile est rosée, ainsi je resterai impuissante et la fin du monde ne me reviendra pas : paradoxalement, je resterai donc impunie, par conséquent récompensée, et je ne crache pas sur les cadeaux.
On m’emmène en cellule. Gnignigni… C’est rigolo, ici, ça ne pue pas alors je me plais. Clic, clac.
- Bonjour, messieurs les professeurs !
Pourquoi dis-je cela ? Je ne sais pas, moi, c’est la routine qui veut ça, j’ignore ce qui me prend, sans doute suis-je stupide à souhait mais ça, personne ne me le dira. Grognasses ! Grognasses !
- Tortionnaires ! Tortionnaires ! Grognasses ! Et ça grogne et ça grogne !
On vient vers moi, me fait signe de me taire.
- Eh qu’est-ce qu’il veut le gros porc, eh ! À d’autres, à d’autres, à moi on ne la fait pas, car j’ai bon fond, la fin du monde, moi ? Je n’y suis point responsable, à cause des multivers que je vais aussitôt rejoindre contrairement à vous, qui resterez bloqués, vous tournerez en rond, tel un poisson rouge dans votre bocal et revivrez les éternels événements sans ne rien pouvoir y changer ni même vous en souvenir car vous êtes aveugles, c’est la cécité mais rien ne dit que votre mémoire inconsciente ne fonctionnera pas, et là vous deviendrez Absolument Dépressifs et c’est indubitable, c’est la Loi qui veut ça, moi je n’y suis pour rien, ce n’est pas moi, absolument jamais qui régis la physique quantique, moi je n’y suis pour rien.
Il s’en est allé le flic, alors je suis à nouveau toute seule et pourtant je continuais de parler alors que ça le dérangeait je ne comprends pas : mais comment alors sauver l’humanité ? Je ne comprends pas tout, car je suis différente. Mais certaines choses me sont plus accessibles, car je suis authentique contrairement à eux, qui ne recherchent que l’Essentiel Confort du Bien-Être éternel qui n’est qu’une illusion !
- Illusion ! Illusoire Illusion, jamais tu ne me prendras ! Moi seule ai la vue, et je t’en remercie cher maître, chère maîtresse, Madame, Mademoiselle le Cyclope.
Mais c’est moi, ça ! Est-ce à dire que je régis le monde ? Mais alors…
- Mais alors c’est indubitable, je suis celui que vous appelez Dieu !
Oh mais…
- Mais donc je peux tout contrôler ! Je suis la puissance même !
Alors je me lève du banc, lève les bras, souris, savoure la Victoire.
- Miam ! Ceci est absolument délicieux.
Vite, je me ravise. Peut-être qu’il ne faut pas qu’ils sachent ; personnellement je n’en sais encore rien, mais comment savoir ce qu’ils mijotent ?
Peut-être même vaudrait-il mieux me taire… Même si, bien sûr, cela m’embête énormément pour l’entraînement, car alors je pourrais bien un jour ne plus savoir parler ni donc comprendre, écrire, lire… Et tout le tralala. Je deviendrai dysphasique. Je parlerai un peu, mais en même temps je serai libérée du moyen qu’est le langage : je deviendrai une Véritable Alangagière !
- Hahaha ! Je serai alangagière, ne saurai plus parler !
Guenièvre, ne veux-tu pas te taire ! Et si c’était mal ? Tu ne te rends pas forcément compte. En plus, pourquoi ne pas être à la fois alangagière et langagière ? N’était-ce pas déjà ton but ? Afin d’acquérir la Vérité, car si tu es Dieu… tu vois bien que tu n’es pas en total possession de tes moyens : Guenièvre, Guenièvre !
- Grognasses ! Grognasses !
Mais tais-toi ! C’est si donc si difficile ! Tu ne penses pas ce que tu dis. C’est du détail ! Aaaaaaaah ! Tu veux donc être absolument comme les autres et te perdre, espèce d’imbécile ! Un dieu se conserve, d’ailleurs tu n’es même pas certaine de cette identité nouvelle qui d’ailleurs n’est vraisemblablement pas ancienne, car tu l’aurais su – ou non. C’est vraiment compliqué. Le concept d’élu, moi, ça me branche pas, ni même de divinité mais c’est ce que le langage me permet de dire, afin de signifier, phonème graphème, signifiant signifié, généralisation permanente mais nécessaire. Afin de prouver. Mieux comprendre. Raccourci. Raccourcis. Courbure dans l’espace-temps qui me permettra d’arranger les choses mais à chaque fois qu’on observe un homme, un autre se crée dans un autre univers alors nous avons énormément de doubles, innombrables, infinis, donc pourquoi serai-je Dieu ? Je ne sais.
- Grognasses, grognasses !
Tu es vulgaire. Mais ça fait du bien, ça libère, j’ai le fond bon je suis timide.
- Tu peux pas arrêter ce vieux discours espèce de débile mentale, de folle, eh l’autre, pourquoi que t’es pas à l’asile de fous, enfermée ouais, enfermée pour toujours qu’on…
Eh, mais j’y pense… Je suis sûrement dans les oubliettes !
- Monsieur, Monsieur le proviseur, messieurs les gentils policiers, ouvrez-moi car jamais je ne pourrai dormir avec toutes mes questions, ce malgré ma fatigue, car je vous ai frappés sans le vouloir, vous êtes bêtes.
Je me frappe les seins, légèrement et c’est agréable.
- Conventionnels ! Y a-t-il un Cyclope ? Je suis à votre disposition !
Je suis épuisée, je m’endors.
- Bien dormi ?
- Ai-je beaucoup parlé ?
- On n’entendait que vous ! J’ai fait un film.
- Ah oui ?
- Oui.
- Je peux le voir ?
- Non.
- Pourquoi ?
- C’est pour les pièces à conviction.
- Je comprends, c’est pour éviter le dilemme entre votre perte… et la Victoire, que vous ne pouvez par nature atteindre, à moins de m’accompagner dans mes élucubrations… Grognasses, grognasses !
Je suis bête ! Il s’agit de l’Evidence Absolue ! Je suis entourée de lumière !
- Vous êtes de la lumière, j’aurais dû y penser avant, mais ça ne m’était pas venu, pas encore car je suis parfois d’un tempérament jaloux.
- Ça tourne, Nico ?
- Ouais !
Qu’ils sont cons ! Je m’en vais !
- Je veux récupérer mes ceintures ! Trois que j’avais, trois exactement trois oui, trois, trois, trois, trois, trois !
- Les voilà.
- Merci messieurs, messieurs les proviseurs, messieurs les policiers mesdames les cyclopes, vous êtes bien aimables, et je vous remercie pour cette nuit passée au poste, j’ai extrêmement aimé car c’était gentil ; vous êtes gentils, absolument trognons qu’on voudrait vous manger, vous boire et vous déguster oui, vous déguster pour intégrer la Permanente Supériorité, car il faut aussi la conserver, pour cela l’intégrer mais si votre nature est perdante alors ce n’est pas la peine en tout cas c’est difficile, il faut persister, ne jamais se décourager y aller, encore y aller.
Ils me font signe de partir.
- Je suis fatiguée !
J’ouvre mes bras vers le ciel, que je scrute intensément, les paupières baissées les sourcils froncés. J’aime ma manière d’être.
- Hummm… Je touche à l’absolu !
Je suis dans la rue, quelques passants m’observent, et j’aime ça.
- J’aime les gens comme vous ! déclaré-je toujours scrutant le ciel.
Je vous adore… Je vous souhaite à tous paix et bonheur… Grognasses, grognasses ! Femme indigne ! Voleuse d’enfant, voleuse d’enfant ! Il ne t’appartenait pas ! Je vais tuer le bébé, le tuer oui, le tuer absolument le tuer, pour ne plus avoir de peine ni de chagrin, passer directement au stade supérieur sans tergiverser, sans m’ennuyer.
- L’Ultime Etape !
 

Je ne sais pas quoi faire, j’ignore à qui parler : Madame, Monsieur, Machin ? Je ne sais. Je n’ai qu’à m’installer… sur ce banc… et inventer. Alors me viendront des idées.
- Bonjour ! Il est bon le bonjour ah ça oui il est bon oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui !
Je scrute le ciel.
- Vous êtes là monsieur ?
- Oui.
- Pourquoi vous êtes toujours un homme, et jamais une femme ?
- Qui êtes-vous, vous ?
- Cyclope.
- Cyclope homme ou cyclope femme ?
- Ni l’un ni l’autre. Je suis. Je ne vous pose pas de question, car je suis Dieu je vous ai donc créé.
- Si vous le dites. Moi, je m’appelle Gérard : ma mère aimait ce prénom…
- … Grognasse !
- Elle aimait ce prénom ; quant à moi, non.
- Sympa !
-  Je suis né homme et le suis resté.
- Ah !
- J’ai un zizi : voyez.
Il me le montre. Berk ! C’est pas beau.
- Il est pas beau votre zizi.
- Vous n’en avez jamais vu ?
- Seulement des petits garçons. Quand ils bougent sur la plage, dzong dzong, ils les font virevolter par-delà le vent : c’est si mignon ! J’en ressens même l’envie de les leur arracher. J’envie leurs mères.
- Pourriez-vous me dire pourquoi ?
- Parce qu’ils sont mignons, tiens ! C’est tout de même une expérience attachante… La chair de votre chair. L’être que vous avez-vous-même créé : comment pourriez-vous vous en séparer ne serait-ce qu’un seul instant ? Ce n’est pas possible. Personnellement…
Je réfléchis.
- Oui ? me demande-t-il.
- Personnellement, je le laisserai dans mon ventre.
- Votre enfant ?
- Bien sûr. Je veux être une mère irréprochable ! Pas comme ces grognasses. Je ne leur en veux pas, mais je déteste les abandons. Moi, j’ai une morale à respecter. Quand on crée, on garde, on ne perd pas.
- Pourquoi cette vulgarité ? Grognasses, n’est-ce pas un peu fort ?
- Non, c’est juste. Mais je ne leur souhaite aucun mal vous savez ! Seulement du réconfort. De l’amour… Tout le monde souhaite être aimé. L’amour, c’est beau. Oui.
- Si vous le dites !
- C’est précisément la raison pour laquelle il faut courber l’espace-temps – grognasses grognasses ! Il faut leur laisser le temps. Pour moi, cela ne me pose aucun problème, je réfléchis, continue sur mon chemin, je m’endors par moment, je réfléchis et m’entraîne à parler. Je fais des efforts, car je me suis moi-même créée : mon corps n’est pas moi, c’est une idée vieille comme le monde, tout n’est pas mauvais chez autrui, il se peut même que je me sois faite par lui, sinon je serais restée à terre avec les poissons, toujours les poissons car ils sont mignons, de même que les champignons, qui sont parfois très bons.
- Je ne vous le fais pas dire !
- Pourquoi êtes-vous si silencieux ? Taiseux… Espèce de taiseux ! Imposteur, imposteur ! Taiseux, taiseux, libérez-vous enfin de votre Surmoi et ainsi vous découvrirez le monde, l’atmosphère terrestre qui n’a rien d’humain, nous ne sommes pas faits pour elle mais pour l’Univers et vous le savez fort bien, nous vivons dans une simulation mais le steak est saignant, bon tellement savoureux !
J’ai comme l’impression de parler pour ne rien dire. Je regarde autour de moi : un groupe de jeunes gens s’est attroupé, m’écoutant parler.
- Qu’est-ce que vous avez ?
Ils rigolent.
- Vous vous moquez de moi ? Vous trouvez que je me prends de la mauvaise façon ? C’est si facile ! J’aimerais vous y voir !
- Eh, si je peux me permettre.
C’est un Noir qui se lève, d’une quarantaine d’années, peut-être clochard. Il lève le doigt.
- Si je peux me permettre une remarque…
- J’en suis fort aise !
- Tu m’as pas laissé parler.
- Je te remercie de ton intervention, qui fut fort chaleureuse, gracieuse quoiqu’embarrassante mais j’aime ça, car il n’y a pas de mauvaise question, d’embarras qui tienne.
- Jamais un mot gentil ! Tu n’as pas d’empathie ! Aucune émotion ! Aucun amour ne sort de ta bouche ! Rien ! Voilà pourquoi tu es seule !
Je suis interloquée : il est fou !
- Fou.
- Raciste ! Raciste !
Alors ça c’est la meilleure ; il m’était pourtant relativement sympathique, mais il faut croire que…
- Touche pas à mon pote !
- Ouais !
Et tout le groupe se met à crier, me conspuer. Un jeune blond se lève.
- Je déclare communément avec mes camarades ton exclusion du groupe !
- Je n’en ai pourtant jamais fait partie.
- Eh l’autre, cela fait déjà plusieurs années que nous t’écoutons, autour de ce banc ! Jamais tu ne nous as adressé un regard !
- Ouais !
- Nous allons porter plainte ! Allons-y les gars !
Alors ils me soulèvent ; moi, je ne peux rien faire sinon lever les bras et crier au secours.
- Au secours au secours ! Mais lâchez-moi !
- Tiens, c’est enfin qu’elle se décide à parler normalement ! C’est toi la grognasse ! On va te jeter à la poubelle !
- Ouaiiis !
- On va te remettre aux flics va !
Encore une fois, me voilà victime de ma timidité ! C’est aux étrangers maintenant de m’exclure ! Étrangers ! Étrangers ! Sortez de ma vie je ne vous connais pas ! Je ne vous ai jamais vus ! Menteurs ! Vous n’êtes que des menteurs ! Sortez immédiatement ou je m’enfuis !
- Méchants !
- C’est tout ce que tu sais dire eh, inhumaine, inhumaine, eh l’autre, raciste, on va porter plainte !
Ils me jettent dans une poubelle, celle faisant face à une antenne de police.
- On veut porter plainte pour racisme ! Ouais !
Je les quitte… Je suis essoufflée : pourquoi tant d’acharnement à mon encontre ? Et pourquoi seuls les hommes semblent-ils s’intéresser à moi, alors que je suis un cyclope ? Messieurs… Vous n’êtes pas très gentils ! Non. Je vous en veux, moi. Vous êtes vraiment bizarres, de dangereux spécimens et je ne veux plus vous voir ! Sortez ! Sortez !
Je suis dans un café de  l’aéroport d’Orly. Des avions s’envolent, je me sens beaucoup plus apaisée. Je suis calme.
J’écoute une conversation :
- Egypte, ça commence par un A !
C’est une petite fille. Qu’elle est mignonne !
- Non, par un E.
Gnignignignignigni. On a envie de lui torturer les joues ; j’adore les enfants, je ne mens pas. Ils m’aideront pour acquérir ce que je cherche. Je suis Dieu mais pas encore en pleine possession de mes moyens : si je pouvais trouver un enfant dans mon cas, alors les efforts seraient vraiment moindres voire même inexistants, et nous pourrions nous amuser, découvrir la Vérité. Il n’y aura plus d’Histoire et nous pourrons inventer, en créant – consciemment, cette fois – de nouveaux mondes.
- Quelle vivacité ! dis-je à sa mère.
- À qui le dites-vous !
- Elle vous ressemble.
- Merci.
Je m’ennuie. Je vais lui demander pour qui elle a voté.
- Craignez-vous les islamistes ?
- Un peu, mais alhamdoullilah l’ancien ministre de Moubarak va gagner.
- C’est heureux !
- Alhamdoulillah sinon je me pends, c’est pour ça que j’ai acheté ce voyage.
- Ça se comprend !
- J’aimerais que ma fille vive dans des conditions saines, loin de cette décadence occidentale.
- Vous avez-voté pour qui au premier tour ?
- Le lapin.
Le lapin ? Quel lapin ? Veut-elle parler de ce ministre ?
La petite fille me tend sa peluche.
- Ouiiii ! Elle a voté pour lui, hihihi ! Elle est gentille ma maman, t’as vu ça !
- Ah, ce fut une bonne idée. Moi, j’ai voté pour moi… Je n’ai plus confiance en personne. Les gens sont rigides, vivent sur des présupposés que jamais ils ne détruisent.
La fille est mignonne, mais ne m’appartient pas. J’aurais besoin, moi, d’un enfant à plein temps, ne pouvant venir que de moi. Il s’agit d’une Double Nécessité : la Justice et le Sang.
Une cave m’attend… Je m’en vais, non sans leur présenter mes politesses.
- AU REVOIR, CHÈRE MADAME !
Elle ne répond pas… Grognasse… Folle… Je me tais, pour éviter d’éveiller les soupçons – grognasse, grognasse. La petite deviendra comme la mère, une folle.
Je suis enfin chez moi, dessinant un ventre. Je recommence. Je dessine le squelette, puis les muscles, puis l’œuf… Un hybride ? Oh mais j’y pense !
Je suis à la campagne, dans la grande banlieue parisienne. Je chante l’air des Schtroumpfs.
- Laaala, le schtroumpf Lala on est bien avec toi ! Lala, le schtroumpf Lala on est bien avec toi…
Hahaha ! Cela me rappelle mon enfance ! Il fait beau, chaud… Je transpire !
Ah, oui ! Je devais voir une ferme… Ah bah laquelle ? Je sais pas, moi… Mais ce ne sont pas les animaux qui manquent : des chats, des chiens – berk ! À bas les chiens ! À bas les chiens !–, des canards – beaucoup de canards ! –, de la nourriture à flot, beaucoup de foie gras. J’adore le foie gras : c’est bon. Miam. C’est même ce qu’il y a de meilleur au monde : du foie gras… hummmm… J’adore ! Mais est-ce vraiment utile ? Je me perds en élucubrations vaines alors que…
Il faut que je m’entraîne ! Il faut que je m’entraîne !
- Bonjour, Monsieur-Madame !
Je suis en plein milieu d’un champ, je me plais, souriant au Soleil.
- Mèèè, mèèè, fait la chèvre…
Haha.
- Bèè, bèè fait le mouton.
Ah ça c’est embêtant : je peux bien miauler, aboyer, autant je n’ai pas assez entendu les véritables cris des derniers animaux pour les imiter, mais c’est tant mieux, car l’hybride doit être supérieur. Peut-être un chat, que j’ai toujours considéré comme le plus noble des animaux, pourrait faire l’affaire… Non ! Un lion ! C’est encore mieux qu’un vulgaire félin domestique. Un lion, oui… Ou un chat sauvage. C’est dur à dire, parce qu’un lion est peut-être encore plus en proie à ses instincts que les derniers – chats sauvages et domestiques – alors peut-être devrais-je opter pour le jaguar, le tigre, le ligre, le zèbre, le zébrule, le zébrane. L’âne, peut-être. C’est intelligent, un âne. Ca a de la personnalité. Je ne veux pas d'un soumis en tout cas… Ah que c’est dur ! Ah que c’est dur !
Je m’endors au Soleil… protégée par le champ terrestre électromagnétique – Maudites soient toutes ces protections ! Je… m’endors… Le naturel… Je veux du naturel… 


 
- Qui suis-je ? demandé-je en marchant dans une rue de Paris.
- Qui suis-je, Madame, Monsieur le Professeurs, mesdames et messieurs les cyclopes ?
Quelques passants prennent la peine de me dévisager – les autres continuent leur chemin sans demander leur reste.
- Je suis gentille, car je suis timide, tel est le grand avantage de cet handicap profond, raison de ma différence et de mon décalage langagier. Mais voyez, je fais des efforts ! Je m’entraîne à parler, car c’est bon pour la santé !
Je vois un de ces idiots en tenue bleu clair, payés pour câliner les inconnus.
- Voulez-vous un câlin ?
- C’est très ennuyeux ! Je m’ennuie ! Je vais bientôt m’évanouir si vous continuez avec vos sornettes ! On n’en sortira jamais ! Je veux un enfant !
Le gars me regarde béat – cela prouve bien l’hypocrisie de son activité lucrative. Un prostitué.
Je ne sais pas quoi faire et n’ai goût à rien. Le proviseur ne m’intéresse guère, de même les adolescents. J’ai peur des gens, voilà mon problème. Il faut que je sois plus directe avec eux, que j’apprenne aussi les bons côtés de la civilisation maternelle et paternelle, non familialiste car il s’agit d’un grand mal et je suis contre le patriarcat.
Toc toc toc !
Je toque au hasard à la porte d’un riche appartement parisien.
On m’ouvre.
- Oui ?
- Bonjour, je voudrais un ami.
La grognasse referme la porte.
Je suis bizarre, je suis anormale. Je suis louche, je suis différente, je n’ai pas les idées nettes, je fais peur et pourtant l’on m’ignore. Je fais tout pour me faire remarquer pour obtenir de l’attention. Je m’entraîne à parler pour amoindrir mon décalage avec autrui et produire de la Constructive Logorrhée, pour avoir à manger quelque temps et détruire les idées préconçues des personnalités de la rue, du dehors et du dedans, admiratifs des apparences et trop peureux pour réfléchir. Ils préfèrent claquer des dents et rester prostrés et se rendre aux policiers porter plainte afin que la Machine marche, car la seule solution contre l’Insécurité réside en la construction de places supplémentaires en prison – primordial ! – et l’application totale et unilatérale des peines contre les délinquants et criminels afin de protéger les honnêtes gens que nous sommes tous.
Je suis devant un papier et des crayons. J’ai obtenu une place en tant qu’animatrice d’enfants. Je devrais me réjouir mais en suis triste, car je ne peux m’empêcher de voir en ces petits phénomènes les sinistres continuateurs d’une même lignée. Mais ce sont aussi des victimes, alors puisque j’en ai des dizaines en charge je devrais être contente, absolument satisfaite et fière, je les aime déjà tellement que j’en pleure, ces êtres si chers méritent la gloire et la Bonté Divine, la Liberté que je me dois de leur apporter pour apprendre ce qu’ils ont déjà enfoui mais ils ont tout âge alors je pourrais m’entraîner à les faire tomber, mais je suis faible, faites donc bouger vos oreilles !
- Faites donc bouger les oreilles, mes chers petits.
Un groupe d’enfants de 4 à 6 ans m’entourent. Une fillette manipule son phénix par sa main droite.
- Mais non ! Faites les bouger tout seuls, car vous êtes grands de par vos âges si purs !
- Ça veut dire quoi ?
- Essayez de les faire bouger sans vous servir de vos mains, sinon c’est de la triche ! Je veux savoir si vous êtes magiciens !
- Moi j’en suis un de magicien, et même un super ! Moi, je peux voler dans les airs si je veux, je suis magique !
- Moi aussi moi aussi ! Je peux faire pipi de loin !
- Ah oui, tu peux voler dans les airs ? Je peux voir ?
- Non, je peux le faire que quand on me regarde pas !
- C’est de la triche, alors ! clament tous en chœur les autres.
Je m’ennuie. Mes espoirs sont vains.
- Est-ce que vous savez dessiner les cyclopes ?
- C’est les gens qui ont qu’un œil ?
- Oui !
- J’avais jamais eu l’idée d’en dessiner mais je peux.
- Super ! C’est très important que vous en dessiniez tous ! Je les accrocherai sur le mur !
- Ouiiiiii !
Je m’éloigne, me dirige vers la cour. Je respire un grand coup : comme c’est bon d’être au milieu de purs ! Abandonnés par leurs mères, si jeunes encore – neuf mois ! Jamais moi je n’abandonnerai le mien, qui restera dans mon ventre, au chaud… Ainsi je pourrai acquérir ce que l’on nomme trop communément des « superpouvoirs », car je suis un prophète et j’aime améliorer la Traçabilité Terrestre de notre Grand Univers que moi seule serai à même de courber, afin de libérer l’humanité de son joug.
Je reviens vers mon groupe d’amis.
- Ooooh, c’est beau ! Surtout ton dessin : j’aime beaucoup l’idée de l’œil violet, en plus il est très réaliste ! À mon tour maintenant !
Je m’applique. C’est encore un bébé : son corps est à peu près normal, sa tête allongée, la lèvre supérieure bien sûr est absente, deux yeux sont juxtaposés dans le même globule, au-dessous d’une trompe, substitut de nez lui permettant de respirer.
Je suis fière de mon dessin !
- C’est quoi le truc là ?
- C’est sa trompe, car il n’a pas de nez.
- Pourquoi il a pas de nez ?
- Parce que c’est un cyclope. Tu n’as jamais vu de cyclope en vrai ?
- Bah nan, ça existe pas les cyclopes !
- Mais si ça existe ! Tu veux en voir ?
Les enfants s’échangent des regards complices.
- Oh oui ! clament-ils en chœur.
- Héhé… Écoutez, je vais essayer de clamer cette opportunité auprès de la congrégation collégiale à laquelle je participe.
- Je t’aime bien, toi, me dit un garçon.
- J’aimerais bien… et si je… Les enfants veulent en voir, car il s’agit de cyclopes… des holoproencéphales alobaires bienveillants, car la différence est une chance et j’en suis bienheureuse quoique non-déesse et c’est la raison pour laquelle je vous invoque tous pour une sortie entre amis, c’est-à-dire avec les enfants du car à la Raison Pure qu’enfin nous découvrirons, pour changer l’humanité à l’usage des hommes mais aussi de tout être vivant que nous trouverons jusque-là, et nous ferons des expériences Absolument Gratifiantes pour la Science, qui a besoin d’inventivité dont elle manque il me semble depuis quelque temps, je ne suis qu’une jeune fille je n’ai que huit ans je veux découvrir mon corps afin de faire des enfants de préférence malveillants.
Ouf ! D’une traite !
- Vous êtes malsaine, me reproche une collègue.
- Vous trouvez ?
- Êtes-vous pédophile ? me demande un autre.
- Mais bien au contraire !
- Vous ne les aimez pas !
- Mais je me disais que c’était une chance !
- Elle est folle.
- Vous dites ça parce que je suis différente ! Bonjour la solidarité collégiale !
- Elle délire.
- Je veux découvrir la Vérité, voilà ! Vous en êtes bien loin, vous ! Je peux paraître un peu brusque certes, je peux parler de manière vous semblant confuse mais uniquement en raison de la non-concordance entre vos esprits minablement unilatéraux et le mien, ouvert, trop ouvert pour être compris par des personnes limitées. Voilà ! Et les enfants y tiennent, à cette sortie !
- Folle !
- Non ! Vous n’avez pas le droit de dire ça ! Vous me blessez !
- Cochonne ! Folle, cochonne…
- Folcoche !
- Non ! Je serai une mère digne, qui n’abandonnera pas ses enfants ! Je les garderai au creux de mon ventre, ils grandiront toujours grandiront pour m’apporter de nouvelles manières d’agir, d’être et de penser, notre amour sera fusionnel et lui seul nous permettra de vaincre l’hostilité environnante, le vôtre !   

- Vous n'irez pas.                              
- Nous n’irons pas où ?
- Voir les cyclopes…
- Oh noooon ! Mais pourquoi ?
- Connaissez-vous la discrimination ?
- Non…
- Si, si, moi je sais, moi je sais ! C’est quand une personne, eh ben, elle rejette une autre parce qu’elle est pas de la même couleur de peau qu’elle. 
- Voilà. Et tu sais pourquoi ça existe ?
- C’est à cause de la connerie humaine ! C’est ma mère qui m’a expliqué. C’est l’intolérance, le rejet, le désamour du prochain !
- Voilà… Je vous parle de ça parce que c’est précisément ce dont sont victimes les cyclopes. Saviez-vous que si l’on en voit si peu, c’est parce que les mères les tuent, alors même qu’ils sont dans leurs ventres ?
- Ooooh !
- Mais c’est pas possible, si elle tue le bébé, eh ben elle tue le ventre, c’est pas possible !
- Eh si… Cela s’appelle l’avortement.
- Oh non !
- Eh oui… C’est triste à dire, mais la différence est mal perçue. On a peur d’elle. Vous savez pourquoi ?
- C’est l’intolérance !
- Oui, mais vous savez d’où elle vient ?
- C’est parce que les gens, ils ont pas assez de capacité intellectuelle alors c’est pour ça qu’ils font leurs trous, mais, mais, il faut les enterrer.
Oh ! Quelle métaphore, quelle intelligence !
- Mais oui, c’est tout à fait ça ! Tu t’appelles comment ?
- Je m’appelle Erwan, et lui c’est, c’est Mario, et puis lui c’est Superman, et elle c’est Zelda et c’est ma princesse et on va se marier !
- J’espère que vous n’avorterez pas !
- On va pas tuer nos bébés t’es folle ! Même si c’est des cyclopes, surtout si c’en est parce que les cyclopes, eh ben leur différence nous enrichit, c’est comme les personnes de couleur !
- Voilà !
Enfin puis-je avoir une discussion intelligente, en harmonie avec l’étendue véritablement paroissiale constituée par mes nerfs cérébraux répondant en parfaite adéquation avec le Ciel Divin non corrompu de ces enfants.
- Guenièvre !
Oh non. C’est la fois d’une collègue.
- Guenièvre, retourne-toi immédiatement ! Mademoiselle la directrice veut te voir !
- Mais pourquoi ? Je m’amuse bien, avec les enfants.
- Elle veut te voir !
- Bien.
Je suis Conventionnelle, et… je me détourne en courant !
- Tiiin, tintin, tin, tin, tintin, tin, tin ! Tintintintintin, tin, tintintintintin, tintintiiiiiin ! Tintintintintin, tin, tintintintintin, tin, tintiiiiiiiin !
Et que je suis dans la cour !
- LES ENFANTS, ON VA VOIR LES CYCLOPES DE GRÉ OU DE FORCE ! JE VOUS LIBÈRERAI DU TERRIBLE JOUG DES INTOLERABLES ADULTES !
- Vous voyez ?
C’est encore la voix de la collègue, au loin dans la cour. Je me retourne : elle discute avec mademoiselle la directrice. Décidément ! On ne me laissera jamais tranquille !
- Venez les enfants on y va !
Mais mon groupe d’amis ne vient pas. À la place, l’horrible mégère dirigeant la maison d’une main de fer s’approche de moi.
- Pourquoi n’êtes-vous pas venue, lorsque je vous ai fait appeler ?
- Pouvez-vous arranger la situation ?
- Vous perdez évidemment votre place, mais vous pouvez encore éviter une plainte à condition d’excuses.
- À qui ? Pourquoi cela ?
- Sinon…
Elle fait le signe de l’égorgement.
C’est alors que mes amis accourent me soutenir ! Erwan prend la parole.
- Pourquoi vous êtes méchante avec elle ?! On l’aime bien, nous !
Il me prend dans ses bras, avec les autres.
La directrice pleure.
- Je ne vous savais pas si cruelle ! Vous osez corrompre ces chers enfants…
- Je m’ennuie. Je dois prendre l’air avec eux. Vous venez ?
- Oui, toi on te suit pour toujours ! On veut voir les cyclopes Madame !
- Oui, et même que, quand je serai grande, eh ben je vais faire un enfant monstre, comme ça je deviendrai encore plus intelligente que maintenant, et comme ça on va découvrir tous les secrets du monde que personne n’a encore vu !
J’en ai les larmes aux yeux. J’avais raison : c’est après cette période faste de 1 à 7 ans que l’intelligence enfantine se bloque.
- Vous êtes tellement intelligents…
- Toi aussi t’es intelligente, et puis t’es belle, c’est pas comme mademoiselle la directrice, en plus on doit l’appeler comme dans les années mille neuf cent cinquante alors que l’époque, eh ben, elle a changé, aujourd’hui c’est l’amour qui doit régner et puis, et puis, c’est lié à l’intelligence alors que la rigidité c’est son contraire !
Mes larmes redoublent.
- Vous venez les enfants ? On va voir les cyclopes !
- OUI !!!
En larmes et comme bloquée au sol, mademoiselle la directrice ne bronche mot. Avec les enfants, je me dirige vers la sortie.
- Ouf ! Le grand air ! Ça fait du bien, n’est-ce pas les enfants ?
- Oui ! On est des super-héros ! On va découvrir le monde et sauver les gens de leur abrutissement !
C’est alors qu’une main s’accroche à mon bras. Bien sûr, il s’agit de la collègue aux ordres de la mégère.
- Alors vous, vous revenez immédiatement !
- Pourquoi ? Je suis encore animatrice, à ce que je sache ! J’emmène les enfants voir une exposition.
- Ah ouais, de monstres ? Et après vous faites dire à ces mioches que c’est mademoiselle la directrice qui est dans les années mille neuf cents cinquante ? C’est comme ça que vous élèverez vos gosses ?!
- Je vous prie de partir, vous m’ennuyez profondément. Pas vrai ? réponds-je en me tournant vers mes amis.
- Elle est ennuyeuse la madame, ce qu’elle dit c’est complètement débile, et puis tout le monde le dit alors c’est pour ça que c’est débile !
- Tu as déjà bu de l’eau, connasse ? se permet la collègue.
- Ouiiiiin ! répond la petite fille en s’agrippant à moi.
- Venez les enfants, on court !
- Ouiiiii !
Sitôt dit, nous courons et je chante, en guise d’encouragement  la musique de Zelda – celle du dehors. Tiiiin, tintintintiiin, tintin !! Tintintintintin, tintin ! Tintintintin, tintintintin, tintintintin, tin, tiiin… Tintintintintintiiiin ! Tintintintintintiiiiin… Tin, tin, tiiin ! Tintin (toutoutoutou), tintin, tou… Tin, tin (toutoutoutou), tin, tin, tin…
Loin de la mégère, je chante alors la musique du trésor : TINTINTINTIIIIIN !
Hahahahahaha.
- Ah, mes enfants, je suis si contente ! Vous sentez, ce parfum de liberté ? Hummm…
- Ca sent l’air.
- Oui, mais il s’altère selon les objets environnants et les circonstances – selon nous.
- On fait quoi maintenaaaant Guenièvre ? On va toujours voir les cyclopes ?
- Mais oui !
- Hihihi, t’es une menteuse, mais moi je m’en fiche car j’aime être avec toi, t’es mieux que les autres on s’ennuie pas avec toi.
Comment faire ? Ce qu’elle dit n’est pas faux : je n’en porte pas encore !
- Je suis désolée les enfants, mais Zelda a raison : j’ignore comment en trouver maintenant !
- Oh noooooooooooooon !
- MAIS ! MAIS ! MAIS ! précisé-je en levant le doigt.
- Mais quoi ?!
- Il y a peut-être une solution.

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