En avant, chers amis ! En avant pour l’aventure
terrestre !
Je vais émasculer mon père ! Vierge ainsi seras-tu dans le Royaume des Cieux.
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans. Moi aussi, j’ai mon mot à dire ! Papa n’est pas l’absolu roi ; seulement pêcheur, extrêmement mince et malhabile et dont les matériaux seuls serviraient à le rendre fier.
Mais moi, j’ai la solution ! Je vais l’émasculer. Moi aussi j’ai tué mon père !
J’ai cinquante-huit ans, je m’appelle Pierre.
Si le cœur vous en dit nous allons danser, chère demoiselle au cœur pur, à la dextérité si délicate. Mademoiselle, nous allons fêter l’événement mais ce ne sera qu’après !
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans.
Je suis fier de mon père !
Je vais l’émasculer.
- Jeune fille, venez par ici.
- Oui ?
- Regardez bien cette photo.
- Oui ?
- Que voyez-vous ?
- Un vieillard… Qui est-ce ?
- C’est mon père !
- Toutes mes félicitations.
- Je vais bientôt le rendre heureux !
- Pourquoi ? N’est-ce pas déjà le cas ?
- Non !
- Oh…
- Mais il va bientôt l’être ! L’euphorie nous gagnera bientôt tous les trois tu verras !
Elle sourit.
- Viens dans mes bras, toute petite fille…
- Je ne suis pas si jeune ! J’ai seize ans, diantre !
- Cela ne fait rien, je t’aime quand même.
- Moi aussi… Je vous trouve tellement amusant.
- Héhé…
- Mais vous ne m’avez pas dit… Qu’allez-vous faire pour libérer votre père de sa persévérante dépression ?
- Rien !
- Rien ?
- Rien !
- Expliquez-moi, je vous en prie…
- Un baiser d’abord, et ensuite on en reparlera…
Elle m’embrasse, tout en me caressant le corps.
- Arrête ! Sois pure !
- Excusez-moi.
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans. Je m’apprête à commettre l’irréparable !
- Viens jeune fille, nous allons le surprendre dans le bois.
- Avez plaisir ! J’en profiterai pour lui cueillir des fleurs !
- Lala, le Schtroumpf Lala on est si bon copains…
La petite fille, tout sourire, me prend par la taille… Elle me regarde, les yeux pétillants de tendresse et de joie. Elle me veut.
- Rendons d’abord heureux mon père !
- Je m’en vais quérir des fleurs !
- Bien.
Où se situe mon père ? Peut-être dans la vallée voisine, j’ai faim, je veux à manger, Madame, où êtes-vous ? Je m’en vais quérir des fleurs avec ma bien-aimée.
- Je voudrais, Monsieur, faire des économies !
- À qui parlez-vous ? me demande l’enfant.
- À un ami.
- Je m’en vais quérir des fleurs dans le bois, en attendant le désarroi !
Oh ! Se serait-elle méfiée ? À trois, j’en aurai le cœur net. Une, deux…
- Trois !
Je me jette sur la petite, que par ma main je bâillonne.
- Hmmm !! Hmm !
- Je me méfie ! Je me méfie !
Je la lâche.
- Êtes-vous devenu fou ?
- Vous avez oublié vos devoirs ! Remerciez mon infinie bonté de ne vous avoir point dénoncée !
- À qui ?
- Mon père !
Diantre ! C’est lui !
- Papaaaaaaaa !
Vers lui je m’élance, électrocuté dans mon entier par le bénéfique contentement de l’admirable avenir.
- Qu’est-ce tu fais ? C’est à ç’t’heure que tu rentres ? dit-il en me repoussant.
- Papa, j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer !
- Qu’est-ce qu’y m’veut encore ?
- Héhé ! Je ne te savais point impressionnable ! Aie l’obligeance, sacripant, de contempler ma future !
- De quel futur y m’cause ? Pou’quoi qu’t’es bizarre t’a coup ? C’est qui ç’te fille ?
- Ma compagne !
- Nié ?
- Niobé !
- Quweu ?
- ELLE S’APPELLE NIOBE !
- Nié ?
Prenant son courage à deux mains, la petite fille s’approche vers le Bienheureux, lui tendant sa douce main que dédaigneux il ne prend.
- Beh quweu, qu’est que tu veux ? T’es pas ma fille !
- Je me présente : Niobé, future épouse de votre fils.
- Eh beh j’ai pas d’fils, mweu ! Eh !
- Bon pas de temps à perdre, on le prend !
Cette connasse ne réagissant pas, je prends à moi seul le sens des responsabilités en le plaquant contre un arbre.
- Eh qu’tu m’veux salopiaud de bon soir ?
- TE RENDRE HEUREUX !
- …
- Fille ! Le COUTEAU !
- Je n’ai que des fleurs !
- Idiote ! Cours en chercher !
- De suite ! me dit-elle en suçant langoureusement son index et son majeur.
- À NOUS DEUX, MAINTENANT !
- Eh quoi ?!!
Il prend peur.
- Pleutre !
- Comprends pô !
- Lâche !
- Pouquweu ?
- Lâche, pleutre, peureux, sinistre imbécile !
- Pou’quoi qu’tu m’insultes ?!!
Je pleure…
- Papa, ne m’en veux pas… Je ne désire que te montrer la Lumière…
- Elle est là la lumière ! prétend-il en m’indiquant de son auriculaire quelques rayons du soleil traversant les denses et touffues feuilles de notre arbre.
- Je t’aime !
- Ah bah moi j’sais pô, vu comment qu’tu m’traites !
- Je t’aime tellement…
Je m’agenouille, le regardant dans les yeux tel un dieu.
- Mon fils est dev’nu fou eh, c’est pas d’mweu qu’tu tiens ça !
- Je suis… éclairé…
- PAPA ! PAPA !
C’est la fille. Je me retourne.
- Je ne suis pas ton père !
- Excuse-moi papa, je parlais aux oreillons virevoltant par-delà le ciel… Pardonnez-moi : je suis si rêveuse…
- Diantre !
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans. Je m’apprête à vierger mon père.
- La Pureté avant tout, cher Père ! C’est ce que durant des années vous m’avez enseigné.
- Si tu l’dis.
- Ma demoiselle !
- Je suis une jolie jeune fille, ma robe de dentelle dansant au gré du vent. Je suis une jolie demoiselle et je veux vous faire plaisir.
- Tu as le couteau ?
- Diantre ! J’ai oublié !
- Eh l’aut’ pou’quoi qu’y parle de couteau ? C’est qui ç’te fille ?
Las, je ne réponds pas.
- Bonjour Monsieur ! Bonjour Monsieur !
La demoiselle perdure dans ses conversations animalières.
- FOLLE ! Apporte-moi immédiatement le couteau, auquel cas ma gratitude tu auras droit ! Sinon, je me verrai obligé de couper les ponts. Tu n’es qu’une jeune fille et je saurai de toi me débarrasser.
Et voilà qu’elle rit ! Pourquoi ?
- Monsieur, je voudrais bien mais…
Elle pouffe.
- Mais je ne peux pas, hon hon hon.
Elle repouffe.
- Rejoins-nous.
- D’accord, hon hon hon.
Elle pouffe de manière à mimer la maladie mentale.
- Nous allons nous asseoir, ordonné-je.
Ils consentent.
- S’il vous plaît papa, ne nous ennuyez pas, ose me dire la fillette.
- Je veux discourir.
- C’est pas mweu qui t’empêch’rai d’courir ! Eh, eh.
- Je m’appelle Pierre et j’ai cinquante-huit ans. Père, vous m’avez fait, ce pourquoi je veux vous remercier par la Délicieuse Accordance d’un Infini Bonheur. Père, je vous aime.
- Ah bon.
- Papa ! m’interpelle la demoiselle en serrant les poings rassemblés en angle droit. Je propose une cérémonie !
- Elle a que’qu’chose cont’ l’argent, la fillette ou quweu ?
- Non, papa, elle veut simplement contribuer à la réussite de mon projet. Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans.
- J’suis pô ton père !
- Père, je vous aime tant. Allongeons-nous, et regardons tous les trois le clair ciel parsemé de touffues feuilles.
- Comprends pô !
- Je vais vous guérir !
- J’ai des fleurs pour nous ensoleiller l’esprit ! révèle la petite fille.
À ma grande surprise les deux lurons daignent s’allonger. La fille a des fleurs dans la main, qu’elle pose autant sur son corps que sur celui de père. Et moi, alors ?!
Comprenant mon désarroi elle intervient.
- Papa, allongez-vous près de moi. Je désire vous saupoudrer de fleurs.
Je daigne. Elle fait.
Alors entre nous deux, Niobé respire profondément et rit.
- Nous sommes si bien ! L’ambiance est tendre, familiale et si remplie de promesses !
- Nié ?
- Niobé ! le réprimandé-je.
- Nié !
- Monsieur le père de mon amant, j’éprouve pour vous la plus vive affection !
- Plus pour longtemps, murmuré-je imperceptiblement.
- Je vous aime tous les deux ! rajoute-t-elle. Je suis… enfin… tranquille. Je suis sûre que vous possédez une imagination des plus vives, que nous pourrons accentuer par la mienne et, par voie de conséquence, accéder à l’Emerveillement Sympathique.
- Qu’est-ce qu’è dit ç’te dingue ?
- Elle dit qu’elle t’aime. Elle ne nous veut que le plus Grand Bien, pour accéder au Parfait Bonheur.
- Ah paceque ‘y a un bonheur imparfait ? Vous êtes bizarres.
- Oui, ce qu’on appelle le bois semé d’embuches.
- Pierre ! J’en ai assez de cette mascarade ! me hurle la demoiselle.
- Qu’as-tu ?
- Allez vous faire foutre ! Je retourne chez ma maman !
- Elle est morte, ta maman.
- Faux ! Je remuerai ciel et terre pour aux Enfers la retrouver.
- Malsaine enfant ! Et le couteau ?
- Allez vous faire voir, avec ce couteau de malheur ! C’est ce qui s’appelle une arme blanche : l’ignoriez-vous ?
- Oui. Je suis Pur d’Esprit, vous le savez fort bien, merveilleuse fillette.
Ses yeux si brusquement attirent des étoiles qu’elle me communique pleinement.
- Je vais chercher le couteau !
Pourquoi ce changement si soudain ? Connaissant la nature inconstante de l’homme, je dédaigne l’interroger. Advienne que pourra !
J’en profite pour poser ma tête sur le torse de mon père, et lui parler.
- Un jour, père, vous serez heureux.
- J’existe pô mwé ! J’suis pô lô.
- Là n’est pas la question, père. Vous êtes magnifique.
- J’crois pô.
- Je vous envie tant. Mais je suis peiné de votre malheur si grand.
- Comprends pô !
- Ne parlons plus.
- Si tu l’dis !
Je suis énervé… Je prends une fleur de son corps, qu’intensément je hume : y trouverai-je la Voie ? Je ne crois pas.
Je m’appelle Pierre, j’ai bientôt huit ans.
Je m’appelle Pierre et je suis malheureux.
- Fillette !
- Quoi ?
- L’avez-vous ?
- Non !
- Venez immédiatement !
- Non !
Je la course.
- Jamais vous ne m’aurez, ignoble personnage !
Quoi quoi quoi ? Aurait-elle… deviné ?
- Oui.
- Oui quoi ? Je n’ai rien dit.
- Je lis dans vos pensées, cher homme… vierge. Hahahaha ! Monsieur le président !
Ouf. Je suis rassuré. Mais tout de même, et ce couteau ?
- Qu’attendez-vous pour m’en aller quérir le couteau ?
- Rien.
- Je patiente et je m’en vais bientôt m’impatienter !
- Ah.
- Je veux le couteau !
- Non.
- Fais-le ! Pour le bonheur de mon père !
- Ca m’étonnerait. Tu as le cœur impur. Pas comme moi, qui très certainement mérite la sanctification.
- Ce n’est point une raison pour ne point me l’apporter !
- Si. Je m’en vais aller quérir les fleurs, en chantonnant au gré du vent.
- Tu n’as aucune excuse. Sinistre enfant !
- Tu te répètes et je m’en vais chantonner, faisant danser par-là même ma tendre robe si…
Elle court.
- Fillette ! Attends !
Mon père inopinément intervient.
- Laisse- lô. Elle te mérite pô. C’t’une dingue, comme toutes les filles et twé, tu tombes dans son piège.
- Jamais je ne me laisserai faire ! C’est ma future, ma tendre fiancée !
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans et je vais castrer mon père.
Je course Niobé.
- La petite fille, frêle et innocente, jamais ne m’aura, moi le roi, moi homme, toi fillette ! Je saurai dignement de toi me débarrasser !
- C’est ce qu’on verra, gros porc ! Immonde ! Immonde !
A-t-elle des dons ?
- OUI !! me hurle-t-elle.
Elle se met à pleurer, et haleter car elle ne sait courir.
Elle se pose contre un arbre, s’assoit.
- Apporte-moi le couteau.
- Ha, ha… Non… Je… n’veux pas… Ne… me cherche… plus… Je… m’en vais… dignement la… retrouver…
Elle s’endort. Que vais-je faire, moi ?
- Père !
- Quweu ?
- Rentrons à la maison !
- J’ai pu d’maison !
- Ah.
- Elle a brûlé… Un gentil p’tit gars comme çô, il m’a fait ç’sale coup, un collègue !
- Il avait probablement ses raisons.
- L’était fou ç’tout.
- Tu habites donc la forêt ?
- J’habite pô, j’existe pô mweu. C’comme ça. J’peux rien mwé.
- Je vois.
- T’vois quweu ?
- Le néant.
- Salopiaud d’fiston, viens avec moi, qu’on s’construit une maison ! On n’a pô b’soin d’l’aut, ç’te folle.
- On en a besoin pour ton bonheur.
- Oh pas d’ça ‘vec mweu ! Pas d’ça mwé.
- Il le faut.
- Laisse-mwo pô exister.
- Tu ne comprends même pas ce que tu dis.
- Ah bah si, sinon j’parl’rais pô. Mais on m’a appris à parler. C’bien, ç’la nature d’l’homme.
- Tu es toujours pêcheur ?
- Beuh non ! Pêcheur d’quweu ? J’s’rais pô dans ç’te forêt s’non.
- Tu l’as pourtant toujours été.
- Non !
- J’ai vécu dans une ruche au milieu d’abeilles et tu y étais. Jamais tu ne m’as parlé ; jamais tu ne m’as bercé ; les abeilles m’ont élevé. Je connais désormais leur danse, et enfin ai pu récolter le pollen que voilà !
- Je l’vois pô mwé.
- La fillette !
- C’pas d’pollen.
- Je ferai de toi le roi des abeilles !
- J’suis pô une abeille, j’exist’ pô.
- Danse après moi.
- J’veux pô attraper l’colique !
- Quoi ?
- J’veux pas attraper d’maladie des oreilles mwé, j’veux viv’ comme y faut, construire une maison et qu’on m’embête pu ! V’là ! J’s’rais plus utile comme çè ! Pis v’là ! J’veux une maison !
Il se met à gesticuler dans tous les sens.
- J’veux une m’zon, j’veux une m’zon !
Il hausse ses bras vers le ciel.
Je m’appelle Thierry, j’ai huit ans.
J’aurai bientôt la Puissance de mon père.
- Mathieu… Mathieu…
C’est la fillette. Je la réprimande.
- Je m’appelle Thierry, j’ai huit ans ! Et plus vite que ça !
Son regard respire l’intellectuelle vacuité.
- Thierry, Thierry…
Elle me caresse les cheveux.
- Oui… Je m’appelle Thierry, j’ai huit ans et demi. J’ai trente ans et je suis ton frère…
- Thierry…
De son regard vide elle m’embrasse la joue.
- Nous allons braver l’espoir !
- Bien sûr ! Spoutnik !
- Nous allons affronter les dangers…
- Oui !
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans. Je vais émasculer mon père.
- Papa… Je vous aime, Thierry… Thierry…
Elle s’apprête à me déshabiller. Non !
- Non ! Tu n’as pas le droit de toucher à mon intimité !
- Thierry…
Son regard est décidément vacant. Serait-elle somnambule ?
- Père, venez à la rescousse ! Un fantôme est à mes trousses !
Père prend un bâton, grâce auquel il bat la fille. PAF ! PAF.
Mais tenace, elle le lui reprend et le tend vers le ciel, droit, à la verticale.
- Salopiaud d’bonsoir qu’elle m’a pris mon b’ton !
Elle s’en va.
- J’comprends pô, j’suis pourtant fort mwé.
- Sans doute pas assez, père.
- C’te folle ! Les femmes sont toutes d’dingues, d’tarées.
- Certes. Mais c’est du pollen, car les abeilles m’ont élevé.
- Et elle t’a contagié à ç’que j’voé !
- Construisons la maison. Le pollen sera pour notre jardin.
- ‘Ya tout l’bwé pour çô fiston.
- Il nous faut du pollen pour nous alimenter.
Je m’appelle Thierry, j’ai huit ans et je m’apprête à mon père à donner le bonheur.
- Nous fo du boé.
Je vais émasculer mon père ! Vierge ainsi seras-tu dans le Royaume des Cieux.
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans. Moi aussi, j’ai mon mot à dire ! Papa n’est pas l’absolu roi ; seulement pêcheur, extrêmement mince et malhabile et dont les matériaux seuls serviraient à le rendre fier.
Mais moi, j’ai la solution ! Je vais l’émasculer. Moi aussi j’ai tué mon père !
J’ai cinquante-huit ans, je m’appelle Pierre.
Si le cœur vous en dit nous allons danser, chère demoiselle au cœur pur, à la dextérité si délicate. Mademoiselle, nous allons fêter l’événement mais ce ne sera qu’après !
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans.
Je suis fier de mon père !
Je vais l’émasculer.
- Jeune fille, venez par ici.
- Oui ?
- Regardez bien cette photo.
- Oui ?
- Que voyez-vous ?
- Un vieillard… Qui est-ce ?
- C’est mon père !
- Toutes mes félicitations.
- Je vais bientôt le rendre heureux !
- Pourquoi ? N’est-ce pas déjà le cas ?
- Non !
- Oh…
- Mais il va bientôt l’être ! L’euphorie nous gagnera bientôt tous les trois tu verras !
Elle sourit.
- Viens dans mes bras, toute petite fille…
- Je ne suis pas si jeune ! J’ai seize ans, diantre !
- Cela ne fait rien, je t’aime quand même.
- Moi aussi… Je vous trouve tellement amusant.
- Héhé…
- Mais vous ne m’avez pas dit… Qu’allez-vous faire pour libérer votre père de sa persévérante dépression ?
- Rien !
- Rien ?
- Rien !
- Expliquez-moi, je vous en prie…
- Un baiser d’abord, et ensuite on en reparlera…
Elle m’embrasse, tout en me caressant le corps.
- Arrête ! Sois pure !
- Excusez-moi.
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans. Je m’apprête à commettre l’irréparable !
- Viens jeune fille, nous allons le surprendre dans le bois.
- Avez plaisir ! J’en profiterai pour lui cueillir des fleurs !
- Lala, le Schtroumpf Lala on est si bon copains…
La petite fille, tout sourire, me prend par la taille… Elle me regarde, les yeux pétillants de tendresse et de joie. Elle me veut.
- Rendons d’abord heureux mon père !
- Je m’en vais quérir des fleurs !
- Bien.
Où se situe mon père ? Peut-être dans la vallée voisine, j’ai faim, je veux à manger, Madame, où êtes-vous ? Je m’en vais quérir des fleurs avec ma bien-aimée.
- Je voudrais, Monsieur, faire des économies !
- À qui parlez-vous ? me demande l’enfant.
- À un ami.
- Je m’en vais quérir des fleurs dans le bois, en attendant le désarroi !
Oh ! Se serait-elle méfiée ? À trois, j’en aurai le cœur net. Une, deux…
- Trois !
Je me jette sur la petite, que par ma main je bâillonne.
- Hmmm !! Hmm !
- Je me méfie ! Je me méfie !
Je la lâche.
- Êtes-vous devenu fou ?
- Vous avez oublié vos devoirs ! Remerciez mon infinie bonté de ne vous avoir point dénoncée !
- À qui ?
- Mon père !
Diantre ! C’est lui !
- Papaaaaaaaa !
Vers lui je m’élance, électrocuté dans mon entier par le bénéfique contentement de l’admirable avenir.
- Qu’est-ce tu fais ? C’est à ç’t’heure que tu rentres ? dit-il en me repoussant.
- Papa, j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer !
- Qu’est-ce qu’y m’veut encore ?
- Héhé ! Je ne te savais point impressionnable ! Aie l’obligeance, sacripant, de contempler ma future !
- De quel futur y m’cause ? Pou’quoi qu’t’es bizarre t’a coup ? C’est qui ç’te fille ?
- Ma compagne !
- Nié ?
- Niobé !
- Quweu ?
- ELLE S’APPELLE NIOBE !
- Nié ?
Prenant son courage à deux mains, la petite fille s’approche vers le Bienheureux, lui tendant sa douce main que dédaigneux il ne prend.
- Beh quweu, qu’est que tu veux ? T’es pas ma fille !
- Je me présente : Niobé, future épouse de votre fils.
- Eh beh j’ai pas d’fils, mweu ! Eh !
- Bon pas de temps à perdre, on le prend !
Cette connasse ne réagissant pas, je prends à moi seul le sens des responsabilités en le plaquant contre un arbre.
- Eh qu’tu m’veux salopiaud de bon soir ?
- TE RENDRE HEUREUX !
- …
- Fille ! Le COUTEAU !
- Je n’ai que des fleurs !
- Idiote ! Cours en chercher !
- De suite ! me dit-elle en suçant langoureusement son index et son majeur.
- À NOUS DEUX, MAINTENANT !
- Eh quoi ?!!
Il prend peur.
- Pleutre !
- Comprends pô !
- Lâche !
- Pouquweu ?
- Lâche, pleutre, peureux, sinistre imbécile !
- Pou’quoi qu’tu m’insultes ?!!
Je pleure…
- Papa, ne m’en veux pas… Je ne désire que te montrer la Lumière…
- Elle est là la lumière ! prétend-il en m’indiquant de son auriculaire quelques rayons du soleil traversant les denses et touffues feuilles de notre arbre.
- Je t’aime !
- Ah bah moi j’sais pô, vu comment qu’tu m’traites !
- Je t’aime tellement…
Je m’agenouille, le regardant dans les yeux tel un dieu.
- Mon fils est dev’nu fou eh, c’est pas d’mweu qu’tu tiens ça !
- Je suis… éclairé…
- PAPA ! PAPA !
C’est la fille. Je me retourne.
- Je ne suis pas ton père !
- Excuse-moi papa, je parlais aux oreillons virevoltant par-delà le ciel… Pardonnez-moi : je suis si rêveuse…
- Diantre !
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans. Je m’apprête à vierger mon père.
- La Pureté avant tout, cher Père ! C’est ce que durant des années vous m’avez enseigné.
- Si tu l’dis.
- Ma demoiselle !
- Je suis une jolie jeune fille, ma robe de dentelle dansant au gré du vent. Je suis une jolie demoiselle et je veux vous faire plaisir.
- Tu as le couteau ?
- Diantre ! J’ai oublié !
- Eh l’aut’ pou’quoi qu’y parle de couteau ? C’est qui ç’te fille ?
Las, je ne réponds pas.
- Bonjour Monsieur ! Bonjour Monsieur !
La demoiselle perdure dans ses conversations animalières.
- FOLLE ! Apporte-moi immédiatement le couteau, auquel cas ma gratitude tu auras droit ! Sinon, je me verrai obligé de couper les ponts. Tu n’es qu’une jeune fille et je saurai de toi me débarrasser.
Et voilà qu’elle rit ! Pourquoi ?
- Monsieur, je voudrais bien mais…
Elle pouffe.
- Mais je ne peux pas, hon hon hon.
Elle repouffe.
- Rejoins-nous.
- D’accord, hon hon hon.
Elle pouffe de manière à mimer la maladie mentale.
- Nous allons nous asseoir, ordonné-je.
Ils consentent.
- S’il vous plaît papa, ne nous ennuyez pas, ose me dire la fillette.
- Je veux discourir.
- C’est pas mweu qui t’empêch’rai d’courir ! Eh, eh.
- Je m’appelle Pierre et j’ai cinquante-huit ans. Père, vous m’avez fait, ce pourquoi je veux vous remercier par la Délicieuse Accordance d’un Infini Bonheur. Père, je vous aime.
- Ah bon.
- Papa ! m’interpelle la demoiselle en serrant les poings rassemblés en angle droit. Je propose une cérémonie !
- Elle a que’qu’chose cont’ l’argent, la fillette ou quweu ?
- Non, papa, elle veut simplement contribuer à la réussite de mon projet. Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans.
- J’suis pô ton père !
- Père, je vous aime tant. Allongeons-nous, et regardons tous les trois le clair ciel parsemé de touffues feuilles.
- Comprends pô !
- Je vais vous guérir !
- J’ai des fleurs pour nous ensoleiller l’esprit ! révèle la petite fille.
À ma grande surprise les deux lurons daignent s’allonger. La fille a des fleurs dans la main, qu’elle pose autant sur son corps que sur celui de père. Et moi, alors ?!
Comprenant mon désarroi elle intervient.
- Papa, allongez-vous près de moi. Je désire vous saupoudrer de fleurs.
Je daigne. Elle fait.
Alors entre nous deux, Niobé respire profondément et rit.
- Nous sommes si bien ! L’ambiance est tendre, familiale et si remplie de promesses !
- Nié ?
- Niobé ! le réprimandé-je.
- Nié !
- Monsieur le père de mon amant, j’éprouve pour vous la plus vive affection !
- Plus pour longtemps, murmuré-je imperceptiblement.
- Je vous aime tous les deux ! rajoute-t-elle. Je suis… enfin… tranquille. Je suis sûre que vous possédez une imagination des plus vives, que nous pourrons accentuer par la mienne et, par voie de conséquence, accéder à l’Emerveillement Sympathique.
- Qu’est-ce qu’è dit ç’te dingue ?
- Elle dit qu’elle t’aime. Elle ne nous veut que le plus Grand Bien, pour accéder au Parfait Bonheur.
- Ah paceque ‘y a un bonheur imparfait ? Vous êtes bizarres.
- Oui, ce qu’on appelle le bois semé d’embuches.
- Pierre ! J’en ai assez de cette mascarade ! me hurle la demoiselle.
- Qu’as-tu ?
- Allez vous faire foutre ! Je retourne chez ma maman !
- Elle est morte, ta maman.
- Faux ! Je remuerai ciel et terre pour aux Enfers la retrouver.
- Malsaine enfant ! Et le couteau ?
- Allez vous faire voir, avec ce couteau de malheur ! C’est ce qui s’appelle une arme blanche : l’ignoriez-vous ?
- Oui. Je suis Pur d’Esprit, vous le savez fort bien, merveilleuse fillette.
Ses yeux si brusquement attirent des étoiles qu’elle me communique pleinement.
- Je vais chercher le couteau !
Pourquoi ce changement si soudain ? Connaissant la nature inconstante de l’homme, je dédaigne l’interroger. Advienne que pourra !
J’en profite pour poser ma tête sur le torse de mon père, et lui parler.
- Un jour, père, vous serez heureux.
- J’existe pô mwé ! J’suis pô lô.
- Là n’est pas la question, père. Vous êtes magnifique.
- J’crois pô.
- Je vous envie tant. Mais je suis peiné de votre malheur si grand.
- Comprends pô !
- Ne parlons plus.
- Si tu l’dis !
Je suis énervé… Je prends une fleur de son corps, qu’intensément je hume : y trouverai-je la Voie ? Je ne crois pas.
Je m’appelle Pierre, j’ai bientôt huit ans.
Je m’appelle Pierre et je suis malheureux.
- Fillette !
- Quoi ?
- L’avez-vous ?
- Non !
- Venez immédiatement !
- Non !
Je la course.
- Jamais vous ne m’aurez, ignoble personnage !
Quoi quoi quoi ? Aurait-elle… deviné ?
- Oui.
- Oui quoi ? Je n’ai rien dit.
- Je lis dans vos pensées, cher homme… vierge. Hahahaha ! Monsieur le président !
Ouf. Je suis rassuré. Mais tout de même, et ce couteau ?
- Qu’attendez-vous pour m’en aller quérir le couteau ?
- Rien.
- Je patiente et je m’en vais bientôt m’impatienter !
- Ah.
- Je veux le couteau !
- Non.
- Fais-le ! Pour le bonheur de mon père !
- Ca m’étonnerait. Tu as le cœur impur. Pas comme moi, qui très certainement mérite la sanctification.
- Ce n’est point une raison pour ne point me l’apporter !
- Si. Je m’en vais aller quérir les fleurs, en chantonnant au gré du vent.
- Tu n’as aucune excuse. Sinistre enfant !
- Tu te répètes et je m’en vais chantonner, faisant danser par-là même ma tendre robe si…
Elle court.
- Fillette ! Attends !
Mon père inopinément intervient.
- Laisse- lô. Elle te mérite pô. C’t’une dingue, comme toutes les filles et twé, tu tombes dans son piège.
- Jamais je ne me laisserai faire ! C’est ma future, ma tendre fiancée !
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans et je vais castrer mon père.
Je course Niobé.
- La petite fille, frêle et innocente, jamais ne m’aura, moi le roi, moi homme, toi fillette ! Je saurai dignement de toi me débarrasser !
- C’est ce qu’on verra, gros porc ! Immonde ! Immonde !
A-t-elle des dons ?
- OUI !! me hurle-t-elle.
Elle se met à pleurer, et haleter car elle ne sait courir.
Elle se pose contre un arbre, s’assoit.
- Apporte-moi le couteau.
- Ha, ha… Non… Je… n’veux pas… Ne… me cherche… plus… Je… m’en vais… dignement la… retrouver…
Elle s’endort. Que vais-je faire, moi ?
- Père !
- Quweu ?
- Rentrons à la maison !
- J’ai pu d’maison !
- Ah.
- Elle a brûlé… Un gentil p’tit gars comme çô, il m’a fait ç’sale coup, un collègue !
- Il avait probablement ses raisons.
- L’était fou ç’tout.
- Tu habites donc la forêt ?
- J’habite pô, j’existe pô mweu. C’comme ça. J’peux rien mwé.
- Je vois.
- T’vois quweu ?
- Le néant.
- Salopiaud d’fiston, viens avec moi, qu’on s’construit une maison ! On n’a pô b’soin d’l’aut, ç’te folle.
- On en a besoin pour ton bonheur.
- Oh pas d’ça ‘vec mweu ! Pas d’ça mwé.
- Il le faut.
- Laisse-mwo pô exister.
- Tu ne comprends même pas ce que tu dis.
- Ah bah si, sinon j’parl’rais pô. Mais on m’a appris à parler. C’bien, ç’la nature d’l’homme.
- Tu es toujours pêcheur ?
- Beuh non ! Pêcheur d’quweu ? J’s’rais pô dans ç’te forêt s’non.
- Tu l’as pourtant toujours été.
- Non !
- J’ai vécu dans une ruche au milieu d’abeilles et tu y étais. Jamais tu ne m’as parlé ; jamais tu ne m’as bercé ; les abeilles m’ont élevé. Je connais désormais leur danse, et enfin ai pu récolter le pollen que voilà !
- Je l’vois pô mwé.
- La fillette !
- C’pas d’pollen.
- Je ferai de toi le roi des abeilles !
- J’suis pô une abeille, j’exist’ pô.
- Danse après moi.
- J’veux pô attraper l’colique !
- Quoi ?
- J’veux pas attraper d’maladie des oreilles mwé, j’veux viv’ comme y faut, construire une maison et qu’on m’embête pu ! V’là ! J’s’rais plus utile comme çè ! Pis v’là ! J’veux une maison !
Il se met à gesticuler dans tous les sens.
- J’veux une m’zon, j’veux une m’zon !
Il hausse ses bras vers le ciel.
Je m’appelle Thierry, j’ai huit ans.
J’aurai bientôt la Puissance de mon père.
- Mathieu… Mathieu…
C’est la fillette. Je la réprimande.
- Je m’appelle Thierry, j’ai huit ans ! Et plus vite que ça !
Son regard respire l’intellectuelle vacuité.
- Thierry, Thierry…
Elle me caresse les cheveux.
- Oui… Je m’appelle Thierry, j’ai huit ans et demi. J’ai trente ans et je suis ton frère…
- Thierry…
De son regard vide elle m’embrasse la joue.
- Nous allons braver l’espoir !
- Bien sûr ! Spoutnik !
- Nous allons affronter les dangers…
- Oui !
Je m’appelle Pierre, j’ai cinquante-huit ans. Je vais émasculer mon père.
- Papa… Je vous aime, Thierry… Thierry…
Elle s’apprête à me déshabiller. Non !
- Non ! Tu n’as pas le droit de toucher à mon intimité !
- Thierry…
Son regard est décidément vacant. Serait-elle somnambule ?
- Père, venez à la rescousse ! Un fantôme est à mes trousses !
Père prend un bâton, grâce auquel il bat la fille. PAF ! PAF.
Mais tenace, elle le lui reprend et le tend vers le ciel, droit, à la verticale.
- Salopiaud d’bonsoir qu’elle m’a pris mon b’ton !
Elle s’en va.
- J’comprends pô, j’suis pourtant fort mwé.
- Sans doute pas assez, père.
- C’te folle ! Les femmes sont toutes d’dingues, d’tarées.
- Certes. Mais c’est du pollen, car les abeilles m’ont élevé.
- Et elle t’a contagié à ç’que j’voé !
- Construisons la maison. Le pollen sera pour notre jardin.
- ‘Ya tout l’bwé pour çô fiston.
- Il nous faut du pollen pour nous alimenter.
Je m’appelle Thierry, j’ai huit ans et je m’apprête à mon père à donner le bonheur.
- Nous fo du boé.
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