jeudi 30 août 2012

Coup de tête.

Aujourd’hui, j’ai brûlé la maison sur un coup de tête. C’était celle de Mère-Grand, cardiaque, morte heureusement bien avant de voir son corps se calciner.
Je l’aimais bien, Mère-Grand. Elle me confectionnait toujours de bons repas traditionnels, du terroir. J’étais un privilégié, systématiquement servi le premier en même temps que le dernier : j’avais au minimum double ration !
Je me souviens encore de ses gâteaux au chocolat, moelleux et fondants à souhait, comme plus personne ne sait en faire – en raison de la dégénérescence mentale propre au Temps Destructeur autant qu’à la disparition des ingrédients.
Moi, j’étais gentil, poli, toujours souriant quoique sincère. Mère-Grand m’aimait bien, plus  encore que feu mon Pépé : j’étais son petit préféré, son inséparable bout d’chou qui, lorsqu’il couine reçoit toujours un bisou.
J’aimais bien recevoir des bisous de Mère-Grand : elle était gentille, un amour comme il n’en existe plus.
J’allais tous les mercredis chez elle à la campagne : qu’il y faisait bon ! Qu’il y faisait beau ! Comme son odeur traditionnelle après mes visites me manquaient !
Moi, j’adorais Mère-Grand. Elle était jolie, très intéressante aussi. C’est grâce à cette personne que je suis désormais incollable sur l’Univers et le corps humain.
Malheureusement, je l’ai tuée sur un coup de tête.
J’aimais bien les expériences qu’elle m’encourageait à pratiquer : c’était de la chimie, pour mieux comprendre les Mystères du Monde et les échanges interindividuels.
Moi, je voulais seulement voir le feu : c’était beau le feu, n’est-ce pas Maman ?... Maman ?
Maman est penchée sur le corps de Mère-Grand, car elle est triste. Elle pleure.

- Maman, je ne voulais qu’appliquer l’une des innombrables expériences chimiques dont elle encourageait la pratique !
- …
- C’était pour découvrir le monde !
Elle me gifle.
- C’était un accident !
- Odieuse créature ! Répugnant personnage ! Tu n’es plus mon fils !
- Mais Maman…
Je pleure à mon tour, en pensant à Mère-Grand : jamais elle n’aurait supporté telle injustice !
Je prie : Mère-Grand, s’il te plaît Mère-Grand, pardonne Maman de m’avoir renié : la cause s’avère être sa simple inconscience qui, cependant n’ôte en rien sa capacité de bravoure ni, surtout, l’existence d’une grande âme, celle qui m’a donné la vie.
- Comment oses-tu prier ?
- Je prie Mère-Grand, car il se peut qu’elle ait pris la place de Dieu. C’est Dieu maintenant, c’est Déesse car elle est née femme : c’est une femme.
- Iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !!!
Je me bouche très fort les oreilles, la tête contre mes genoux. Le bruit est insupportable.
M’apprêtant à partir, mon corps perçoit une tentative d’étreinte : Maman voudrait-elle se faire pardonner ?
Non. Elle me secoue.
- Connard ! Connard ! Connard !
Moi, je suis mal à l’aise et pendant que mon physique elle perturbe, j’émets en cadence un son discontinu.
- Ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah…
Elle ne cesse de me secouer.
- Ah, ah, ah, ah, ah, Ma, a, a, a, man, an, an, an !
Brusquement elle s’arrête.
- Quoi ?
- Je l’aimais Mère-Grand !
- Et c’est comme ça que tu la remercie, pour tous les efforts qu’elle a fourni pour mon demeuré de fils, pour qu’il apprenne à un peu mieux se comporter en société ! Je le lui disais, pourtant, que ses efforts étaient vains ! Elle ne voulait rien entendre ! Tu étais son… p’tit bout d’chou ! Un p’tit bout d-chou qui vient la brûler pendant son sommeil ! Un p’tit bout d’chou ! Un p’tit bout d’chou !
Elle me plaque contre un mur et le regard noir m’observe. D’un ton d’une apparence seulement plus calme elle me dit :
- Un petit bout d’chou… Un p’tit bout d’chou très curieux, très imaginatif qui, pour alimenter ses histoires eut un jour l’idée de brûler celle qui plus que tout au monde l’aimait : sa Mère-Grand. Sa Mère-Grand. Il a tué sa Mère-Grand pour alimenter son imagination, c’est ça hein, c’est ça, fiston, c’est ça, c’est ça, c’est ça, c’est ça, c’est ça, c’est ça ?!
Je pleure, en me bouchant les oreilles.
- Crie paaas… Sniff…
- Voyez-vous cela ! Le p’tit bout d’chou aurait des remords, maintenant ? À moins que tu ne chiales de joie, celle d’avoir accru ta… connaissance du monde ! Alors quoi, tu vas en écrire une histoire hein, une charmante histoire dans un de tes innombrables cahiers Country ! Il sera de quelle couleur celui-là, vert ? Ou tu vas coller un joli dessin sur la couverture ?
- Je sais pas, Maman… Je sais pas.
- Oh, il ne sait pas !
- Non… Non, laisse-moi, Maman… J’ai pas fait exprès.
- Il a pas fait exprès ! Voyez-vous cela ! Il a pas fait exprès d’asperger la maison de sa grand-mère et de la brûler ! Il n’a pas fait exprès ! Il faut le pardonner, il est si maladroit ! Il a simplement volé par inadvertance le bidon d’essence de sa maman dans la cuisine pour ensuite le déverser sur la maison de sa Mère-Grand, à dix kilomètres !
- J’ai mal aux pieds Maman…
- Il a mal aux pieds ! Il a mal aux pieds ! Il a mal aux pieds ! Vite, une serpillère !
- Pourquoi Maman, pourquoi tu veux une serpillère ?
- Pour te laver !
- Mais je veux pas moi… Je veux pas me laver je sens bon le feu c’est gentil.
- C’est gentil de sentir le feu… CONNARD ! CONNARD ! CONNARD ! CONNARD !
Elle me plaque contre un mur et me rue de coups de genoux tout en m’insultant de connard.
- Connasse.
- CONNASSE ? CONNASSE ? IL M’INSULTE DE CONNASSE !
Elle me rue alors de coups de poing.
- CONNASSE ?! IL ME TRAITE DE CONNASSE CET ENFOIRÉ !! IL ME TRAITE DE CONNASSE ! IL ME TRAITE DE CONNASSE ! IL ME TRAITE DE CONNASSE ! AH, TU VAS EN VOIR, DES CONNASSES AH ÇA TU VAS EN VOIR HEIN !
Elle me frappe encore et encore.
Nous sommes à la campagne. Aucun témoin à l’horizon. Nous sommes à la campagne et nous sommes seuls. Je suis triste que Maman soit si méchante avec moi. J’aimerais récupérer son amour et commencer avec elle une exclusive et joyeuse vie.
J’ai le visage en sang.
Maman a réussi à me le casser.
Je pleure, à la fois de douleur et de peine.
Maman me fait signe de rejoindre la voiture.
- À l’arrière !
- Oui, Mam…
- Ne m’appelle plus JAMAIS ainsi ! Tu n’es plus mon fils !
- Il y a des photos de toi avec un gros ventre…
- Ce n’était pas toi !
- Si c’était moi. Et puis je te ressemble physiquement ; Mère-Grand disait que j’étais ton portrait craché.
Maman alors démarre et notre voiture s’écrase contre un mur.
- Pourquoi t’as fait ça ?
- Tu me rends folle ! Tu me rends folle ! Tu m’as détruit ! J’aurais dû, au lieu de me lamenter  sur son corps, te renverser ! Maintenant c’est trop tard, on n’a plus de voiture !
- C’est ta faute…
- Et il ose encore me répondre, après ce que je lui ai mis… C’est qu’il OSE ENCORE CE MALADE ! MALADE MENTAL ! ON AURAIT DÛ T’ENFERMER DÈS LA NAISSANCE ! ET T’APPELER CONNARD !
- C’est connoté…
- BIEN SÛR QUE C’EST CONNOTÉ, ABRUTI ! ON RENTRE À LA MAISON, À PIED !
- Pas la peine de crier…
- Je suis fatiguée, si fatiguée de toi… Qu’ai-je fait au bon Dieu pour mériter un tel fils ?
Je pleure de plus belle. Maman ne m’aime plus.
- Je veux pas que tu sois triste…
- C’est la meilleure… Tu tues ma mère, ma maman, et tu-veux-pas-que-je-sois-triste… Tu-veux-pas-que-je-sois-triste. Oh-non-ma-man, je-veux-pas-que-tu-sois-triste.
- C’est toi qui parles comme ça.
- Il comprend pas l’humour, le p’tit bout d’chou à Mère-Grand… Oh, que dis-je, c’était certainement pour plaisanter que tu as mis le feu à sa maison !
- Je sais pas…
- Il ne sait pas… Il ne sait pas… C’était… pour voir. Il a mis le feu pour voir comment ça fait. Par simple curiosité. Pour voir
- Je me suis trompé parce que Mère-Grand, maintenant, elle est morte…
- Oui… Oui…
Elle accélère le pas, en larmes.
- Maman, je t’aime… Je t’aimerai toujours même si tu me renies…
- Oh, toi, je devrais te brûler vif…
- Ça me ferait mal…
- Rendez-vous compte… Ça me ferait mal… Ça ferait mal au p’tit bout d’chou brûleur de grand-mère d’être à son tour brûlé, il veut bien brûler les autres mais pas lui ! Pas lui oh non, certainement pas, car ses nerfs le sentiraient et transmettraient le message au système nerveux qui ressentirait alors la plus atroce des douleurs… Tout brûlerait…
- Mais Maman ça dépend dans quel sens on brûle, si c’est à l’intérieur on ressent rien, c’est ce qui s’appelle la combustion spontanée. Et de toute façon Mère-Grand n’est même pas morte brûlée, mais d’arrêt cardiaque.
Maman convulsivement me crache alors dessus de toutes ses forces.
- T’es DÉBILE, c’est ça !?! T’es DÉBILE ! J’ai enfanté un arriéré inconscient de ses actes !!! Et ça devrait me rassurer ! Et s’il lui prenait l’idée de me tuer moi, pour voir comment ça fait ? Quelle charmante logique, quelle imagination ! Si tu avais vraiment de l’imagination, tu te serais contenté d’imaginer la scène ! Connard ! Connard ! Abruti ! Enfoiré !
- Je veux pas te voir triste je ferais pas ça…
- Oh ne t’inquiète pas, si je suis morte, je ne ressentirais aucune douleur, RIEN !
- Sauf si tu vas au Ciel… On ne sait jamais…
- C’est toi qui iras en Enfer… Immondice !
- C’est pas gentil de dire ça…
- Dit celui qui a brûlé vive sa grand-mère.
- Non c’est faux, elle est morte d’une crise cardiaque. Ça devait arriver.
- Pas comme ça ! Et tu sais quel âge elle avait, ta mère-grand ? Cinquante-six ans ! Elle m’a eue à vingt ans !
- Je l’aimais bien…
- Oh j’en ai marre… Quand on arrivera à la maison, j’appellerai un centre qui voudra bien t’accueillir… Un centre fermé, jusqu’à ta majorité… Ou chez les fous… J’en sais rien.
- Moi je voudrais bien parler à des fous pour m’enrichir intellectuellement, sauf que là-bas ils les abrutissent de médicaments ce qui fait qu’on ne peut plus rien en tirer, ils ont perdu leur débordante imagination. Comme on a peur des capacités humaines, du vrai, du jeu, eh bien on enferme toutes les personnes relevant de ces qualités, pour ne pas être confronté à ce qu’on ne connaît pas. Pour préserver la routine, soit l’ignorance.  Mais ce n’est pas une pieuvre : elle ne mord pas.
- Je suis gentille, je t’ai laissé parler.
- Tu n’aurais pas dû ?
- Oh si… Bien sûr… C’est la liberté d’expression.
- C’était pour te dire que c’était pas contre les fous que je refusais de vivre en hôpital psychiatrique, mais contre leur traitement, parce qu’on m’abrutirait, c’est un mouroir.
- Alors tu seras en centre fermé.
- Non, il y a plein de racailles.
- Et alors ?
- Et alors ce n’est pas mon monde.
- Je croyais que tu n’aimais pas la routine… Décidément, contradictoire en plus d’être arriéré !
- On dirait que tu m’as pardonné d’avoir brûlé Mère-Grand.
- Je suis fatiguée, si fatiguée… Quoi, tu le reconnais maintenant ?!
- Bah non mais tu as l’air d’en jouir. Tu jubiles intérieurement car tu peux enfin te débarrasser de moi.
- C’était pour ça que tu as tué le seul être qui t’aimait ? Pour me quitter ?
- Je sais pas pourquoi je l’ai fait.
- Il serait temps de le savoir ! Que diras-tu au juge ?
- Quel juge ?
- Tu ne vas tout de même pas t’en tirer sans rien ! Il y aura une enquête, on perquisitionnera chez nous !
- Oh non…
- Quoi, ça te fait peur ? Tu crains plus la prison que tu n’éprouves de remords d’avoir tué ta grand-mère, brûlé sa maison, ses œuvres d’art, ses albums de famille, son… chat ? Il est sûrement mort, lui aussi !
- Je l’ai pas vu.
- Immondice.
- Mais si j’ai des remords, mais je voulais voir les conséquences justement… C’était l’une des expériences interindividuelles auxquelles Mère-Grand m’encourageait…
- Une expérience interindividuelle… L’assassinat de sa grand-mère est une expérience interindividuelle.
- C’est aussi un acte tragique, je le conçois.
- Apprends le sens de tragique et on en reparlera…
- Je n’y pouvais rien, moi. C’est le Destin. En fait ce n’était pas une expérience : c’est venu d’un coup, je ne pouvais faire autrement, croyant certes mais seulement qu’il s’agissait d’une expérience à laquelle consciemment je pouvais aboutir. En fait non.
- Et il agence mal ses phrases !
- Non. C’est correct, quoiqu’original. Je ne suis pas conforme. Je n’ai pas de drap sur la tête ! Doté d’une icône nécessaire à ma reconnaissance par l’Altérité – soi-disant – Bienveillante !

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