Je ne suis personne. Appelez-moi Sirène, Moto, Ralamalatana, Souci l'Animatrice, Rococo l’ornithorynque, Cintre du Temps, Marlamana, monsieur l’Inspecteur, Ambassadeur de ce monde,
Molestrice de Vraisemblance, Labyrinthe
du cœur, BoudirassanassanassanassanassanassanassanassanaSSANASSANA-SSANASSANASSANASSANASSANASSANAMARGALALALALALALALALALABANANANANANANANANANANANANANANANANANANA…
Je ne déprime pas, je suis seulement d’humeur neutre. Rien ne me fait mal, rien ne me fait plaisir. Rien n’est réel.
Mon parcours est parfaitement linéaire : petite fille sur-sensible, profondément angoissée par mon décalage avec le monde, j'ai dû pour me protéger l'analyser. C’est ainsi que progressivement ma force s’est accrue, jusqu’à ce que je sache me défendre, jusqu’à ce que je me connaisse ainsi que l'extérieur et qu’ainsi, je m’assume et n’accorde plus d’importance à mon image sociale. Jusqu’à ce que je n’en accorde plus du tout pour les autres ni pour quoi que ce soit, certainement pas moi.
Au début j’étais contente, au début j’en profitais pour être spontanée. Les gens ne me faisaient plus peur alors je me comportais comme je le sentais : muette ou volubile, je parlais même de sujets extrêmement personnels à de parfaits inconnus.
Folle ! pensèrent ces canards.
Alors une demoiselle voulut me poursuivre en justice.
Je me suis défendue : en avant, chenapante – de l’ancien haut allemand schnappen : attraper –, tu ne m’auras jamais ainsi tu verras, l’Arbre Glacé du raton-laveur dégénéré. Mon Dieu tu ne m’auras pas ! Jamais, petite fille, petite fille, petite fille oh là non, non, non, non, non, non, non.
Dire que je m’étais identifiée à elle ! Quelle erreur ! Elle était très limitée, victime d'une mentalité totalement rigidifiée par la perverse société, comme c'est malheureusement le cas de l’immense majorité de la population terrestre. Je ne lui en veux pas, je comprends parfaitement qu'on veuille préserver sa sécurité par un absolu conformisme à des règles établies, pour être dans le moule et ne pas se faire remarquer ni se sentir dérangé. C’est pour cela qu’ils sont attirés par la Simplification Permanente : ils catégorisent tout pour se reposer d'une réflexion qu'ils pensent trop risquée, se remettant toujours à l'autorité du Superficiel. Tout doit être évident, l'anormal puni. L'individu, dont le dessein ne consiste qu'à respecter les normes, doit absolument refouler son intériorité. Mauvais par nature, nous devons être encadrés, ligotés, blâmés : nous faire confiance serait un péché mortel !
Ne te comprends pas ! Ne te comprends pas ! Ne te comprends pas !
Nous devons n’être que des machines, de purs agissants.
Interdiction de penser à soi et à l’autre !
On comprend mieux pourquoi tant de gens sont pétrifiés ! N'approuvant cette idéologie stupide mais incapables d’y faire face, comprenant le caractère compliqué de leur psychologie mais ne trouvant personne pour s’y intéresser, ils préfèrent passivement se soumettre à l'Ennemi.
Ils sentent que l’Idéologie a tort mais préfèrent qu’elle ait raison, tout un paradoxe. Ils sentent bien mais n’osent pas, car comme les autres ils aspirent à la Stabilité qu’ils ne sauraient pensent-ils trouver qu’en se conformant à ce qu’ils n’aiment pas, pour éviter la solitude et le risque, afin de bloquer le dangereux temps.
Celui dont on ne dit pas le nom : le Temps, maléfique et contrôlé par une routine sans réflexion.
Il est toujours trop tard pour avancer, même et surtout pour faire valoir ses droits. C'est trop tard. On m’a enlevé mon enfant mais je n’irai certainement pas le récupérer car c’est trop tard cela fait deux ans, cela fait cinq ans cela fait dix ans cela fait vingt ans c'en fait désormais fait vingt-cinq, il est devenu crétin mais que le temps n’ait pas bougé depuis mon action m’excuse, je suis dépressive mais c'est mieux ainsi j’ai un mari et une fille, je suis normale et retourner le temps briserait cette heureuse situation.
Les gens ne se font pas confiance, ils adorent se condamner.
Pourtant ils ne sont pas masochistes puisqu’ils n’ont pas de recul.
Frappez-moi frappez-moi, je n’aime pas mais frappez-moi frappez-moi oh oui, oh oui, oh oui oh oui oh oui oh oui, ohoho, ohohoho, ohohoho, je fais semblant de rire mais je n’aime pas oh non non non, oh non non non.
- Bonjour monsieur, bonjour madame aimeriez-vous être mon épouse, être mon époux ?
- Oui bien sûr, embrassons-nous.
- Que ton corps est doux.
- Que ton corps est beau.
- Nous sommes amoureux.
Je m’ennuie terriblement, dites-moi que faire jeunes gens !
Je ne sais. Je suis là, sur mon lit, les yeux vides. Sans conviction je mange et me prélasse, fatiguée de l’irréalité de ce monde. J’ai compris, donc n’espère plus en rien.
Cette situation n’est pas tenable. Puisque rien n’a de sens et même si cela ne m’amuse plus, je vais provoquer des cataclysmes. Je vais induire en un Combat Singulier la petite fille psychorigide qui eut un jour l’odieuse idée de se plaindre de moi auprès des policiers, parce qu’énervée par sa bêtise et voulant naïvement libérer son esprit, je me suis emparée de son sac pour le jeter dans les Égouts Planétaires. L'acte fut incompris, immédiatement perçu comme anormal et me salissant entièrement. L'humour, le recul, la réflexion n'ont pas lieu d'être, ils dérangent et d'ailleurs la loi ne les connaît pas.
Nous devons n'être que des machines, qui fonctionnent et jamais ne déraillent, des robots dépourvus de pensée.
Cela fait deux jours que je lui ai envoyé un mail, je ne comprends pas pourquoi je ne reçois pas de réponse. Marie, Marie ! Ma riche Marie aide-moi je ne veux mourir, je ne veux ramper je veux juste vivre ! Marie, Marie, ma riche Marie !
Oh, une réponse !
Je vous la retranscris telle que je la comprends :
Bonjour, mademoiselle la sirène,
Je ne vous dérange pas j’espère car vous, vous, vous, vous oui vous, vous me dérangez terriblement car par votre faute ma boîte mail elle est pas propre, elle est même très sale oui, oui, oui, oui, oui, oui, elle est vraiment très sale, et puante, moi je ne l’aime pas moi, je ne l’aime pas vraiment beaucoup. Ce que vous dites en plus est vide de sens, moi je suis blessée même si je me contredis, je suis vraiment très très blessée par votre Intelligence si Supérieure, je crois, je crois, je crois oui, je crois que je vais me suicider, vous avez enfreint à ma Stabilité Permanente.
Alors je vais porter plainte à la police, et ce définitivement, les forces de l’ordre viendront vous perquisitionner pour vous arrêter.
Cordialement.
Vraiment ? Je ne rêve que de cela.
Ce qu’elle est ennuyeuse !
C’est vraiment pour vous faire plaisir que je crée tout ce remue-ménage, il me laisse béate, la bouche ouverte que par faiblesse je referme car c’est ainsi plus naturel.
Des mails, j’en ai écrit plein, le plus souvent sans réponse…
J’ai fini par m’en lasser : comment s’amuser avec des gens rigides ? C’est extrêmement difficile !
L’enfance n’est pas bloquée me direz-vous, c’est partiellement vrai selon les âges et les circonstances ainsi que les possibilités de communication, mais elle est naïve et pour l’instant, je ne suis pas attirée par elle. Et puis, comment sans désir créer des enfants ?
Je ne veux pas changer le monde, j’en serais à moi seule bien incapable. Vouloir sans pouvoir ne m’est plus accessible ; plus tard, dans la nuit, dans le noir dans le silence de mon Permanent Environnement. Pour me formater, car je deviendrai Prophète ou malotrue par conséquent ne changerai rien sauf, sauf, sauf… si je me prends de la bonne façon, par voie de conséquence évidemment pas seulement par la parole mais je n’ai pas de plan, je crois que mes réflexions sont vouées au Néant.
Peut-être que les policiers vont me contacter, peut-être venir, peut-être pas je ne sais. Je devrais donc faire des miennes dans la rue, malgré mon absence d’envie de désir de partir de rester gambader d’allumer le Brésil en allant en Afrique par ce temps si splendide.
Lalalalalala lalalalalala lalalalalala !
Non non non non non non ne restez pas présent je ne voudrais m’enfuir avant d’connaît’ la mort.
TOULOULOULOU (tatatata) ! TOULOULOULOU (tatatata) ! TOULOULOULOU (tatatata) !
Ce doit être les gentils policiers. Allo ?
- Bonjour, monsieur, madame, mademoiselle la sirène, viendriez-vous chez nous manger de la bonne chair ? J’aimerais en effet, chère madame, assister à votre décorum qui, ma foi, me semble fort sympathique !
- Non !
- Ah bah pourquoi ?
- Non, c’est non ! Je ne veux pas ; je dispose encore, sachez-le, d’un libre-arbitre alors laissez-moi en paix car moi, moi, moi, moi, je ne vous embête pas !
- C’est une question de vie ou de mort…
- Votre mort ne m’intéresse pas, ni moi vous. Mais je veux bien une pastèque, apportez-la moi et en vitesse ou je m’en va porter plainte contre vos congénères, de bien beaux gaillards que vous prendrez pour des traîtres alors qu’ils ne feront que leur travail !
Je m’ennuie. Cela ne m’amuse pas le moins du monde.
- Mais non, car c’est interdit par le règlement nous ne le pouvons chère madame, mademoiselle cher monsieur de la Sympathique Règlementation Permanente !
- Je voudrais être procureure.
- Ah ben pourquoi ?
- Pour pouvoir faire en sorte que les méchants prennent la peine maximale, et ce quel que soit le délit, surtout si la personne est pauvre et impuissante. Je me donnerai à cœur joie de mettre à l’œuvre l’Accélération Pilulique à l’un de mes sujets favoris : le placement d’enfant. Si la mère aime trop son chérubin, croyez-moi monsieur que je ferai en sorte d’attiser un procès qui le lui enlèvera. Les drames humains je déteste, je veux que tout soit en ordre.
- Oh ! Mais, mais… vous êtes une femme bien !
- Vous voyez.
- Mais, mais, alors… dans ce cas, vous pouvez autant ne pas venir au commissariat, nous avons du travail en effet !
- Et la plainte, alors ?
- Oh, ce n’était qu’une main courante et puis, entre nous, nous voyons des crimes bien plus abominables, comme… l’amour envers son prochain. Mais si vous luttez contre, alors nous ne voyons plus aucune raison de vous perquisitionner, vous pouvez vous en aller au gré du vent, chère madame, chère mademoiselle la serpillère.
- Moi je n’aime pas l’amour du prochain moi je n’aime pas les sentiments moi j’aime que tout soit bien à sa place, que tout soit immuable, je lutte pour la récupération de nos traditions perdues, je voudrais le retour d’un patriarcat très fort et volubile.
- C’est très très très très très très très très bien, voyez bien qu’on vous aime, monsieur l’Aspirateur.
- C’est parfaitement réciproque ne vous inquiétez pas pour cette question, je vous admire moi de mon jeune âge et ne voudrais disparaître dans l’ambiance ressourçale, ressourcique ambivalente de l’atmosphère terrestre.
- Je suis d’accord avec vous ! Mais vous avez du travail, nous avons du travail alors acharnons-nous, je vous encourage à devenir procureur de la République Chérie !
- Moi de même.
- C’eeeest bieeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeen !
- C’est ma foi très très très bien, comme vous l’avez dit tout à l’heure.
- Plus de très, beaucoup plus de très cela fait beaucoup de frais car nous sommes sincères !
- Bien sûr. J’espère, moi de ma si douce féminité, vous avoir plu cher monsieur à l’aspect, je l’espère, le plus granuleux possible.
Je m’ennuie mais je pense bien devenir procureure, je vais lutter à cœur joie pour punir à contrecœur les gentils de ce monde, les gens perdus, qui n’ont pas eu la chance d’être soutenus, les gens seuls et malheureux étiquetés anormaux qui pour se sentir exister par besoin par amour commettent ce qu’il ne faut pas.
Alors on les emprisonne. Pourquoi ? Parce que c’est comme ça. Puisqu'ils ont dérogé aux règles sociales, alors on s'interdit désormais de compatir à leur sort, car en ce qui nous concerne, nous sommes dotés d'un sens inné de l'obéissance ; nous ne sommes pas concernés. La prison c'est les Bisounours maintenant, nos impôts sont utilisés pour les faire manger alors qu'ils ne méritent que la mort.
Le sens moral n’est pas institutionnalisé. Tout est mécanique. Rien ne doit avoir de profondeur.
Je m’ennuie !
Je vais découvrir le concours aspirateur du National Diplôme du Procurat National. Pour devenir procureure, afin de sauver le monde en le conservant de toutes les petites forces de mes bien maigres bras, je suis maigre et je suis grosse à la fois, j’incarne l’Absolue Perfection de toute l’Existence Absorbante du rictus sympa. Je fais la moue car je souris. Je suis gentille car je m’aime, car je m’aime, car je m’aime.
- Bonjour monsieur l’aspirateur, je voudrais passer le National Passeport du Procurat qui – héhé, clin d’œil – je l’espère, saura bien vite me procurer, héhéhé, car je ne suis pas moi car en effet je le refuse ! Je refuse d’être moi car il est ainsi mieux pour tous afin d’être en accord avec le Pragmatisme !
Le monsieur me regarde, soulève ses lunettes et sourit. Il se lève et chaleureusement me serre la main.
- Je n’ai jamais constaté tant de… tant de… tant de… tant de… tant de…
- Sincérité, savoir ?
- Mieux que cela, de Totale Compréhension de l’Ambivalent Ballon du Monde Entier !
- Je suis heureuse de vous l’entendre dire, vous vous avérez très sympa !
- Très logique, gros mot, gros mot !
- Désolée.
- Un mauvais point qui – héhé, clin d’œil – toutefois ne comptera pas pour les épreuves ! Car elles sont – clin d’œil, héhé, bouche béante – SYMPA !!!
- Héhé, clin d’œil.
- Vous êtes humaine.
- Non, juste une mouette.
- Héhé, nous rigolons car nous sommes RIGOLOS !
Je suis dans la salle et j’ai des feuilles qui me demandent à chaque fois des choses, comme une dissertation sur le sourire.
Je suis contente car le sujet me correspond parfaitement : le sourire évidemment, c’est mal.
« Le sourire s’est vu victime de bien des abominations dans le passé, tantôt considéré comme passeport, tantôt comme l’Habile Vecteur du Bonheur, en tout cas procurant chez autrui le Pratique Contentement de son être.
Cela n’est pas faux, cela n’est pas faux, CEPENDANT ! Il ne faut pas oublier qu’il n’est en soi qu’un caractère neutre et biaisé, devant en général être rejeté quand son but est gratuit.
Tout, la société l’oublie bien souvent, se paie ! La politesse, le couvert et les habits, l’eau, la Lune et l’électricité, la lumière du soleil comme l’amour, peut-être pas la grimace sinon par le valeureux État, en tout cas le sourire c’est certain.
Il doit revêtir un caractère pragmatique, ou sinon conduit à la mort et cela, chers messieurs, n’est pas ce que vous souhaitez, personne n’y aspire car l’intelligence heureusement est de ce monde, c’est vrai que les ouvriers sont bêtes et de même ceux qui ne font pas d’études ou les mauvaises il faut détruire tout l’artiste-moi qui sommeille en nous, le détruire et non le refouler, l’exterminer pour ne plus qu’il nous embête car sinon la société ne marcherait plus nous mangerions des rats.
Comment utiliser le sourire ?
Le sourire peut avoir de multiples fonctions car déjà ce n’est à l’origine qu’une grimace, mais on était des sauvages à l’époque et désormais nous sommes dans le progrès. Par la suite il est devenu synonyme de positivité car l’individu souhaitait être apaisé par lui, ne dit-on pas : « Le sourire est contagieux » ? Bien sûr, mais nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours. Alors nous devons comprendre qu’il faut payer, c’est pour notre Bien car cela permet de ne pas régresser, cela permet d’accroître considérablement nos richesses et de manger plus qu’à notre faim, de nous divertir et de consommer.
Si le progrès s’incarne dans l’absolu-paiement de tout c’est aussi le cas du sourire, du concret comme de l’abstrait. Son sommet s’incarne dans le rire, plus cher lorsqu’il est bienveillant, s’il est moqueur il est gratuit c’est-à-dire, comme la grimace, payé par l’État afin d’encourager l’individu au travail afin de faire ce qui nous plaît dans la limite de la liberté des autres commençant lorsque nous sommes en prison, raison pour laquelle il faut que certaines personnes transgressent. L’égalité est une malheureuse utopie conduisant au malheur.
Ainsi le sourire revêt un caractère absolument primordial : c’est en récompense que l’individu doit l’utiliser, certainement pas pour encourager car là l’État le fait par le mal, c’est une Bienveillante Abstraction caritative que voilà !
On le voit, le sourire est donc dangereux laissé à la portée de n’importe qui. C’est pour cela qu’il faut instaurer immédiatement une institution qui proposerait de nous former à toutes les déformations de nos visages, tout en ayant en tête que l’avenir s’incarne en prison : si l’obéissance accroît, si les gens comprennent, il faut tel pour un anorexique amaigrissant resserrer la ceinture de sécurité pénale. »
Je suis bien fière de ma rédaction !
Héhéhé, clin d’œil.
J’ai les résultats, ma foi très bon, je suis exactement la première exacte de la totalité de ma promotion j’en suis très fière et je puis désormais incarner l’Absente Révolte de notre Ambiance Nationale.
Assemblée Nationale, dit la jolie voix du métro. Je pensais auparavant qu’une femme était vraiment employée pour indéfiniment répéter les noms des stations, serrée auprès du conducteur et sexy. De même pour les feux rouges et les feux oranges et verts.
Je suis bien heureuse de pouvoir alors revêtir la Sympathique Étiquette de Procureur.
- Bonjour monsieur, vous me reconnaissez ?
- Oh oui, vous avez eu la meilleure note en dissertation du sourire ! Vous avez eu 21 !
- Pas 20 ?
- Non, je vous assure que le rédacteur était trop impressionné pour commettre un tel euphémisme. Courte mais efficace, votre diatribe !
- En effet.
- Vous voyez !
- Bien sûr. Mais encore, n’a-t-il pas ajouté de commentaire ?
- Ah si, je me souviens, dit-il en se tapant la tête. Il a dit que l’on devrait suivre votre proposition pastorale de la création d’une loi du sourire et d’une institution de formation du visage !
- Mais c’est bien ça, mais c’est très très bien, dis-je en feignant de pleurer. Je suis heureuse !
- Le Président de la République lui-même a tenu à se déplacer pour vous déverser une médaille absolument bienheureuse !
- Merci, sniiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiff, heureusement qu’en ma possession je possède un valeureux mouchoir !
Je pleure, encore et encore, de joie cela va sans dire, évidemment je fais semblant mais après tout…
Pour la première fois depuis bien des années…
Je m’amuse un peu.
Légèrement bien évidemment, mais je suis rassurée car peut-être alors finirai-je rieuse et pleine de joie ? Intérieurement fort logiquement, car je compte être la directrice de l’Institution du Sourire dans laquelle j’enseignerai pour tous les récalcitrants, c’est-à-dire les petits délinquants se permettant de récidiver dans la bienveillance gratuite et trop visible. J’inciterai à la délation, le courage de l’utile plainte auprès des forces de l’ordre !
Pardon, la République incitera.
Vous… construirez… vos propres institutions de la totale compréhension du Bien-Être.
Je suis arrivée à la salle de spectacle, remplie à ras bord. Je suis la goutte d’eau qui fait déborder le vase des applaudissements, des rires et de la joie, des caméras de surveillance absolument sympathiques et tournées vers le progrès, je monte sur scène.
- Je suis là, tous !
- Houuuuuuuuurraaaaaaaaaaaaa, houuuuuuuuuuuuuuuurraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa, hourraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa ! Clap clap clap, clap clap clap ! Siiii-rèèène ! Clap-clap-clap, Siiiiiiiiii-rèèèène, clap-clap-clap ! Siiiiiiiiiiiii-rèèèèène ! Clap-clap-clap.
- Je suis en effet très encouragée par votre puissance accélératoire et volubile, celle-là même qui – clin d’œil – m’a inspirée pour le concours ! C’est grâce à vous que je suis procureure, et j’irai même encore plus loin, c’est vous qui m’avez élue !
- Ouaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiis !
- Je suis ravie de vous avoir pour public ! J’espère accéder à une haute et longue carrière devant moi, parfaite et sans embuche ! Je gagnerai toujours vous verrez, je serai i-rré-ppro-chable dans la répression des délinquants !
- Et des criminels !
- Et des criminels ! Tolérance zé-ro ! Trop d’amour : au trou ! C’est l’un des freins les plus dangereux pour la société, c’est lui qui nous a foutu dans la crise, on le dit trop peu souvent ! Il faut être réaliste, nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours !
- Ouaiiiiiiiiiiiiiiiiiiis !
- To-lé-rance-zé-ro ! Avec moi, les peines seront VRAIMENT appliquées ! Des milliers de places supplémentaires en prison seront créées !
- Ouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiis !
- Ne cédez jamais à la Tentation Bisounours !
- Nooooooooooooon !
- Jamais !
On me file une bouteille d’eau. Merci jeune homme, j’avais très soif.
- Oh, que vois-je ? Ne serait-ce pas… Monsieur le Président de la République Chérie ?
- Lui-même ! répond-il. Le président répond toujours présent pour déverser les médailles, surtout lorsqu’elles s’adressent aux doués du scolaire, la seule norme qui vaille !
- Je suis première, j’ai réussi les tests !
- Oui, vous méritez donc une médaille !
- Je pleure de joie…
- Je crois qu’on avait remarqué, héhé…
Il monte sur scène et…
- Oh, je ne tiendrai pas monsieur : une médaille, rien qu’à moi la… médaille… d’OR ! Sniiiiiiiiif… Je suis tellement… heureuse… Cela fait tant de temps que j’attends ce moment. Je suis si… joyeuse, si… délicate et pure. Je suis contente d’être arrivée première, cela veut dire que je suis très intelligente. Vous m’avez remis des notes excellentes, 21 ! Je vais dès lors me baisser pour me faire déverser le signe de ma supériorité bienheureuse.
Si j’avais su que je m’amuserais de cette Tragique Mascarade ! Elle ne me révolte ni ne m’ennuie – pour l’instant.
- NON, ne vous baissez pas ! Auparavant, il vous faut sucer de la datte.
- Sucer de la datte ?
- Bien sûr !
Un cortège arrive, portant à bout de bras un splendide et gigantesque trône dans lequel se trouve, confortablement installée sur un coussinet, une datte.
- Sucez de la datte, jeune première ! m’engorgent délicatement ces hommes si charmants.
Je la suce, à l’immense joie du public à l’air si soulagé.
- J’aime la datte ! Heureusement, car sinon j’aurais été bête.
Tout le monde rit.
- Encore une preuve de ma Supérieure Intelligence !
- J’espère qu’un jour, je deviendrai comme toi ! s’exclame un petit garçon.
- Je l’espère aussi ! Veux-tu… monter sur scène ?
Sa mère pleure de joie, tout étonnée de la gigantesque faveur offerte à sa propre progéniture, que peut-être un jour j’enlèverai. Sauf s’il est élevé sévèrement, la base de la base de la règle ambivalente. On vit pas dans un monde de Bisounours !
- Eh ben petit garçon, on est timide ?
- Non je viens.
- Viens auprès de moi… Voiiiiilà. Comment t’appelles-tu ?
- J… Je sais pas.
- Enfin, tu dois bien te rappeler ?
- N… non !
- Tu n’es pas stupide, quand même ?
- J’ai de très bonnes notes à l’école.
- Le niveau baisse… Cela ne présage rien de bon pour nos chers chérubins !
- Non le niveau il baisse pas !
- Bien sûr que si, sinon tu ne serais pas premier, toi qui n’oses même pas parler en public. La timidité c’est de la bêtise !
- Mais j’ai VRAIMENT oublié !
- Oui ! confirme sa mère. Il souffre parfois d’amnésie momentanée : il s’appelle François.
- C’est joli, François, mais vous l’enfoncez ! J’espère pour vous deux que cette arriération mentale – momentanée, encore heureux – s’éclipsera le vite possible. C’est très handicapant dans le monde d’aujourd’hui, qui n’a rien à voir, je vous le rappelle, avec celui des Bisounours.
- Je suis pas timide c’est juste que parfois j’ai des trous.
- Eh ben c’est de l’arriération mentale momentanée ! Et ça dit bien ce que ça dit : le niveau ne cesse depuis des décennies de baisser, il y a un véritable gouffre entre nos générations ! Tu as quel âge ?
Il ne répond pas. Il pleure et retourne à sa place. Sa mère prend sa défense.
- Monstre ! Vous n’avez pas honte ?!
- Vous l’élevez trop gentiment, le voilà le problème, vous le gâtez, vous ne le préparez pas à affronter les problèmes de ce monde ! Vous avez intérêt à vous reprendre sinon… couic ! Je vous l’enlève !
- Vous n’avez pas le droit !
- Bien sûr que si. Bien bien, d’autres questions ?
Tout le monde est terrorisé. Le président prend la parole.
- Elle a raison, le niveau baisse et…
- … Il faut vous reprendre, cela relève de votre responsabilité ! Je propose d’établir des cours d’éducation à chaque futur parent.
- Mais c’est une très bonne idée !
- Bien. C’est bien gentil mais maintenant j’ai du travail, j’ai une affaire à préparer.
- Mais, mais… bien sûr ! Quel courage ! Heureusement que vous êtes née, l’intelligence manquait dans nos contrées…
- Oh, merci ! Snifff…
- Enfin, ne faites pas la chochotte, vous savez bien que j’ai raison.
- Nooooon, pas avant mes résultats au concours avant je savais pas mais maintenant je sais que je suis une surdouée.
- Ooooon l’aaaapplaudiiiit bien foooort !
- Ouiiiiiiii, on vous aiiiiime, Sirèèèèène ! La fermeté nous a manqués !! Siiiiiiii-rèèène, prééésiiiideeeente !
- Snif snif je suis charmée, bien heureusement qu’un mouchoir me détient pour… me protéger. Snif !
- Et voici le Principal Plat de l'Heureuse Journée : votre médaille !
- Oh merci, merci, merci mon Dieu de m'avoir faite intelligente...
- Houuuuuuuuuuuuuuuuuurraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !!!
Quelle journée ! Que d’émotions !
Faire semblant, ça use, ça use !
J’ai guéri, je suis énervée, enfin.
Comme quoi, il suffisait d’un rien !
Je reprends ma période volubile.
J’espère qu’elle va durer le plus longtemps possible !
Je ne déprime pas, je suis seulement d’humeur neutre. Rien ne me fait mal, rien ne me fait plaisir. Rien n’est réel.
Mon parcours est parfaitement linéaire : petite fille sur-sensible, profondément angoissée par mon décalage avec le monde, j'ai dû pour me protéger l'analyser. C’est ainsi que progressivement ma force s’est accrue, jusqu’à ce que je sache me défendre, jusqu’à ce que je me connaisse ainsi que l'extérieur et qu’ainsi, je m’assume et n’accorde plus d’importance à mon image sociale. Jusqu’à ce que je n’en accorde plus du tout pour les autres ni pour quoi que ce soit, certainement pas moi.
Au début j’étais contente, au début j’en profitais pour être spontanée. Les gens ne me faisaient plus peur alors je me comportais comme je le sentais : muette ou volubile, je parlais même de sujets extrêmement personnels à de parfaits inconnus.
Folle ! pensèrent ces canards.
Alors une demoiselle voulut me poursuivre en justice.
Je me suis défendue : en avant, chenapante – de l’ancien haut allemand schnappen : attraper –, tu ne m’auras jamais ainsi tu verras, l’Arbre Glacé du raton-laveur dégénéré. Mon Dieu tu ne m’auras pas ! Jamais, petite fille, petite fille, petite fille oh là non, non, non, non, non, non, non.
Dire que je m’étais identifiée à elle ! Quelle erreur ! Elle était très limitée, victime d'une mentalité totalement rigidifiée par la perverse société, comme c'est malheureusement le cas de l’immense majorité de la population terrestre. Je ne lui en veux pas, je comprends parfaitement qu'on veuille préserver sa sécurité par un absolu conformisme à des règles établies, pour être dans le moule et ne pas se faire remarquer ni se sentir dérangé. C’est pour cela qu’ils sont attirés par la Simplification Permanente : ils catégorisent tout pour se reposer d'une réflexion qu'ils pensent trop risquée, se remettant toujours à l'autorité du Superficiel. Tout doit être évident, l'anormal puni. L'individu, dont le dessein ne consiste qu'à respecter les normes, doit absolument refouler son intériorité. Mauvais par nature, nous devons être encadrés, ligotés, blâmés : nous faire confiance serait un péché mortel !
Ne te comprends pas ! Ne te comprends pas ! Ne te comprends pas !
Nous devons n’être que des machines, de purs agissants.
Interdiction de penser à soi et à l’autre !
On comprend mieux pourquoi tant de gens sont pétrifiés ! N'approuvant cette idéologie stupide mais incapables d’y faire face, comprenant le caractère compliqué de leur psychologie mais ne trouvant personne pour s’y intéresser, ils préfèrent passivement se soumettre à l'Ennemi.
Ils sentent que l’Idéologie a tort mais préfèrent qu’elle ait raison, tout un paradoxe. Ils sentent bien mais n’osent pas, car comme les autres ils aspirent à la Stabilité qu’ils ne sauraient pensent-ils trouver qu’en se conformant à ce qu’ils n’aiment pas, pour éviter la solitude et le risque, afin de bloquer le dangereux temps.
Celui dont on ne dit pas le nom : le Temps, maléfique et contrôlé par une routine sans réflexion.
Il est toujours trop tard pour avancer, même et surtout pour faire valoir ses droits. C'est trop tard. On m’a enlevé mon enfant mais je n’irai certainement pas le récupérer car c’est trop tard cela fait deux ans, cela fait cinq ans cela fait dix ans cela fait vingt ans c'en fait désormais fait vingt-cinq, il est devenu crétin mais que le temps n’ait pas bougé depuis mon action m’excuse, je suis dépressive mais c'est mieux ainsi j’ai un mari et une fille, je suis normale et retourner le temps briserait cette heureuse situation.
Les gens ne se font pas confiance, ils adorent se condamner.
Pourtant ils ne sont pas masochistes puisqu’ils n’ont pas de recul.
Frappez-moi frappez-moi, je n’aime pas mais frappez-moi frappez-moi oh oui, oh oui, oh oui oh oui oh oui oh oui, ohoho, ohohoho, ohohoho, je fais semblant de rire mais je n’aime pas oh non non non, oh non non non.
- Bonjour monsieur, bonjour madame aimeriez-vous être mon épouse, être mon époux ?
- Oui bien sûr, embrassons-nous.
- Que ton corps est doux.
- Que ton corps est beau.
- Nous sommes amoureux.
Je m’ennuie terriblement, dites-moi que faire jeunes gens !
Je ne sais. Je suis là, sur mon lit, les yeux vides. Sans conviction je mange et me prélasse, fatiguée de l’irréalité de ce monde. J’ai compris, donc n’espère plus en rien.
Cette situation n’est pas tenable. Puisque rien n’a de sens et même si cela ne m’amuse plus, je vais provoquer des cataclysmes. Je vais induire en un Combat Singulier la petite fille psychorigide qui eut un jour l’odieuse idée de se plaindre de moi auprès des policiers, parce qu’énervée par sa bêtise et voulant naïvement libérer son esprit, je me suis emparée de son sac pour le jeter dans les Égouts Planétaires. L'acte fut incompris, immédiatement perçu comme anormal et me salissant entièrement. L'humour, le recul, la réflexion n'ont pas lieu d'être, ils dérangent et d'ailleurs la loi ne les connaît pas.
Nous devons n'être que des machines, qui fonctionnent et jamais ne déraillent, des robots dépourvus de pensée.
Cela fait deux jours que je lui ai envoyé un mail, je ne comprends pas pourquoi je ne reçois pas de réponse. Marie, Marie ! Ma riche Marie aide-moi je ne veux mourir, je ne veux ramper je veux juste vivre ! Marie, Marie, ma riche Marie !
Oh, une réponse !
Je vous la retranscris telle que je la comprends :
Bonjour, mademoiselle la sirène,
Je ne vous dérange pas j’espère car vous, vous, vous, vous oui vous, vous me dérangez terriblement car par votre faute ma boîte mail elle est pas propre, elle est même très sale oui, oui, oui, oui, oui, oui, elle est vraiment très sale, et puante, moi je ne l’aime pas moi, je ne l’aime pas vraiment beaucoup. Ce que vous dites en plus est vide de sens, moi je suis blessée même si je me contredis, je suis vraiment très très blessée par votre Intelligence si Supérieure, je crois, je crois, je crois oui, je crois que je vais me suicider, vous avez enfreint à ma Stabilité Permanente.
Alors je vais porter plainte à la police, et ce définitivement, les forces de l’ordre viendront vous perquisitionner pour vous arrêter.
Cordialement.
Vraiment ? Je ne rêve que de cela.
Ce qu’elle est ennuyeuse !
C’est vraiment pour vous faire plaisir que je crée tout ce remue-ménage, il me laisse béate, la bouche ouverte que par faiblesse je referme car c’est ainsi plus naturel.
Des mails, j’en ai écrit plein, le plus souvent sans réponse…
J’ai fini par m’en lasser : comment s’amuser avec des gens rigides ? C’est extrêmement difficile !
L’enfance n’est pas bloquée me direz-vous, c’est partiellement vrai selon les âges et les circonstances ainsi que les possibilités de communication, mais elle est naïve et pour l’instant, je ne suis pas attirée par elle. Et puis, comment sans désir créer des enfants ?
Je ne veux pas changer le monde, j’en serais à moi seule bien incapable. Vouloir sans pouvoir ne m’est plus accessible ; plus tard, dans la nuit, dans le noir dans le silence de mon Permanent Environnement. Pour me formater, car je deviendrai Prophète ou malotrue par conséquent ne changerai rien sauf, sauf, sauf… si je me prends de la bonne façon, par voie de conséquence évidemment pas seulement par la parole mais je n’ai pas de plan, je crois que mes réflexions sont vouées au Néant.
Peut-être que les policiers vont me contacter, peut-être venir, peut-être pas je ne sais. Je devrais donc faire des miennes dans la rue, malgré mon absence d’envie de désir de partir de rester gambader d’allumer le Brésil en allant en Afrique par ce temps si splendide.
Lalalalalala lalalalalala lalalalalala !
Non non non non non non ne restez pas présent je ne voudrais m’enfuir avant d’connaît’ la mort.
TOULOULOULOU (tatatata) ! TOULOULOULOU (tatatata) ! TOULOULOULOU (tatatata) !
Ce doit être les gentils policiers. Allo ?
- Bonjour, monsieur, madame, mademoiselle la sirène, viendriez-vous chez nous manger de la bonne chair ? J’aimerais en effet, chère madame, assister à votre décorum qui, ma foi, me semble fort sympathique !
- Non !
- Ah bah pourquoi ?
- Non, c’est non ! Je ne veux pas ; je dispose encore, sachez-le, d’un libre-arbitre alors laissez-moi en paix car moi, moi, moi, moi, je ne vous embête pas !
- C’est une question de vie ou de mort…
- Votre mort ne m’intéresse pas, ni moi vous. Mais je veux bien une pastèque, apportez-la moi et en vitesse ou je m’en va porter plainte contre vos congénères, de bien beaux gaillards que vous prendrez pour des traîtres alors qu’ils ne feront que leur travail !
Je m’ennuie. Cela ne m’amuse pas le moins du monde.
- Mais non, car c’est interdit par le règlement nous ne le pouvons chère madame, mademoiselle cher monsieur de la Sympathique Règlementation Permanente !
- Je voudrais être procureure.
- Ah ben pourquoi ?
- Pour pouvoir faire en sorte que les méchants prennent la peine maximale, et ce quel que soit le délit, surtout si la personne est pauvre et impuissante. Je me donnerai à cœur joie de mettre à l’œuvre l’Accélération Pilulique à l’un de mes sujets favoris : le placement d’enfant. Si la mère aime trop son chérubin, croyez-moi monsieur que je ferai en sorte d’attiser un procès qui le lui enlèvera. Les drames humains je déteste, je veux que tout soit en ordre.
- Oh ! Mais, mais… vous êtes une femme bien !
- Vous voyez.
- Mais, mais, alors… dans ce cas, vous pouvez autant ne pas venir au commissariat, nous avons du travail en effet !
- Et la plainte, alors ?
- Oh, ce n’était qu’une main courante et puis, entre nous, nous voyons des crimes bien plus abominables, comme… l’amour envers son prochain. Mais si vous luttez contre, alors nous ne voyons plus aucune raison de vous perquisitionner, vous pouvez vous en aller au gré du vent, chère madame, chère mademoiselle la serpillère.
- Moi je n’aime pas l’amour du prochain moi je n’aime pas les sentiments moi j’aime que tout soit bien à sa place, que tout soit immuable, je lutte pour la récupération de nos traditions perdues, je voudrais le retour d’un patriarcat très fort et volubile.
- C’est très très très très très très très très bien, voyez bien qu’on vous aime, monsieur l’Aspirateur.
- C’est parfaitement réciproque ne vous inquiétez pas pour cette question, je vous admire moi de mon jeune âge et ne voudrais disparaître dans l’ambiance ressourçale, ressourcique ambivalente de l’atmosphère terrestre.
- Je suis d’accord avec vous ! Mais vous avez du travail, nous avons du travail alors acharnons-nous, je vous encourage à devenir procureur de la République Chérie !
- Moi de même.
- C’eeeest bieeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeen !
- C’est ma foi très très très bien, comme vous l’avez dit tout à l’heure.
- Plus de très, beaucoup plus de très cela fait beaucoup de frais car nous sommes sincères !
- Bien sûr. J’espère, moi de ma si douce féminité, vous avoir plu cher monsieur à l’aspect, je l’espère, le plus granuleux possible.
Je m’ennuie mais je pense bien devenir procureure, je vais lutter à cœur joie pour punir à contrecœur les gentils de ce monde, les gens perdus, qui n’ont pas eu la chance d’être soutenus, les gens seuls et malheureux étiquetés anormaux qui pour se sentir exister par besoin par amour commettent ce qu’il ne faut pas.
Alors on les emprisonne. Pourquoi ? Parce que c’est comme ça. Puisqu'ils ont dérogé aux règles sociales, alors on s'interdit désormais de compatir à leur sort, car en ce qui nous concerne, nous sommes dotés d'un sens inné de l'obéissance ; nous ne sommes pas concernés. La prison c'est les Bisounours maintenant, nos impôts sont utilisés pour les faire manger alors qu'ils ne méritent que la mort.
Le sens moral n’est pas institutionnalisé. Tout est mécanique. Rien ne doit avoir de profondeur.
Je m’ennuie !
Je vais découvrir le concours aspirateur du National Diplôme du Procurat National. Pour devenir procureure, afin de sauver le monde en le conservant de toutes les petites forces de mes bien maigres bras, je suis maigre et je suis grosse à la fois, j’incarne l’Absolue Perfection de toute l’Existence Absorbante du rictus sympa. Je fais la moue car je souris. Je suis gentille car je m’aime, car je m’aime, car je m’aime.
- Bonjour monsieur l’aspirateur, je voudrais passer le National Passeport du Procurat qui – héhé, clin d’œil – je l’espère, saura bien vite me procurer, héhéhé, car je ne suis pas moi car en effet je le refuse ! Je refuse d’être moi car il est ainsi mieux pour tous afin d’être en accord avec le Pragmatisme !
Le monsieur me regarde, soulève ses lunettes et sourit. Il se lève et chaleureusement me serre la main.
- Je n’ai jamais constaté tant de… tant de… tant de… tant de… tant de…
- Sincérité, savoir ?
- Mieux que cela, de Totale Compréhension de l’Ambivalent Ballon du Monde Entier !
- Je suis heureuse de vous l’entendre dire, vous vous avérez très sympa !
- Très logique, gros mot, gros mot !
- Désolée.
- Un mauvais point qui – héhé, clin d’œil – toutefois ne comptera pas pour les épreuves ! Car elles sont – clin d’œil, héhé, bouche béante – SYMPA !!!
- Héhé, clin d’œil.
- Vous êtes humaine.
- Non, juste une mouette.
- Héhé, nous rigolons car nous sommes RIGOLOS !
Je suis dans la salle et j’ai des feuilles qui me demandent à chaque fois des choses, comme une dissertation sur le sourire.
Je suis contente car le sujet me correspond parfaitement : le sourire évidemment, c’est mal.
« Le sourire s’est vu victime de bien des abominations dans le passé, tantôt considéré comme passeport, tantôt comme l’Habile Vecteur du Bonheur, en tout cas procurant chez autrui le Pratique Contentement de son être.
Cela n’est pas faux, cela n’est pas faux, CEPENDANT ! Il ne faut pas oublier qu’il n’est en soi qu’un caractère neutre et biaisé, devant en général être rejeté quand son but est gratuit.
Tout, la société l’oublie bien souvent, se paie ! La politesse, le couvert et les habits, l’eau, la Lune et l’électricité, la lumière du soleil comme l’amour, peut-être pas la grimace sinon par le valeureux État, en tout cas le sourire c’est certain.
Il doit revêtir un caractère pragmatique, ou sinon conduit à la mort et cela, chers messieurs, n’est pas ce que vous souhaitez, personne n’y aspire car l’intelligence heureusement est de ce monde, c’est vrai que les ouvriers sont bêtes et de même ceux qui ne font pas d’études ou les mauvaises il faut détruire tout l’artiste-moi qui sommeille en nous, le détruire et non le refouler, l’exterminer pour ne plus qu’il nous embête car sinon la société ne marcherait plus nous mangerions des rats.
Comment utiliser le sourire ?
Le sourire peut avoir de multiples fonctions car déjà ce n’est à l’origine qu’une grimace, mais on était des sauvages à l’époque et désormais nous sommes dans le progrès. Par la suite il est devenu synonyme de positivité car l’individu souhaitait être apaisé par lui, ne dit-on pas : « Le sourire est contagieux » ? Bien sûr, mais nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours. Alors nous devons comprendre qu’il faut payer, c’est pour notre Bien car cela permet de ne pas régresser, cela permet d’accroître considérablement nos richesses et de manger plus qu’à notre faim, de nous divertir et de consommer.
Si le progrès s’incarne dans l’absolu-paiement de tout c’est aussi le cas du sourire, du concret comme de l’abstrait. Son sommet s’incarne dans le rire, plus cher lorsqu’il est bienveillant, s’il est moqueur il est gratuit c’est-à-dire, comme la grimace, payé par l’État afin d’encourager l’individu au travail afin de faire ce qui nous plaît dans la limite de la liberté des autres commençant lorsque nous sommes en prison, raison pour laquelle il faut que certaines personnes transgressent. L’égalité est une malheureuse utopie conduisant au malheur.
Ainsi le sourire revêt un caractère absolument primordial : c’est en récompense que l’individu doit l’utiliser, certainement pas pour encourager car là l’État le fait par le mal, c’est une Bienveillante Abstraction caritative que voilà !
On le voit, le sourire est donc dangereux laissé à la portée de n’importe qui. C’est pour cela qu’il faut instaurer immédiatement une institution qui proposerait de nous former à toutes les déformations de nos visages, tout en ayant en tête que l’avenir s’incarne en prison : si l’obéissance accroît, si les gens comprennent, il faut tel pour un anorexique amaigrissant resserrer la ceinture de sécurité pénale. »
Je suis bien fière de ma rédaction !
Héhéhé, clin d’œil.
J’ai les résultats, ma foi très bon, je suis exactement la première exacte de la totalité de ma promotion j’en suis très fière et je puis désormais incarner l’Absente Révolte de notre Ambiance Nationale.
Assemblée Nationale, dit la jolie voix du métro. Je pensais auparavant qu’une femme était vraiment employée pour indéfiniment répéter les noms des stations, serrée auprès du conducteur et sexy. De même pour les feux rouges et les feux oranges et verts.
Je suis bien heureuse de pouvoir alors revêtir la Sympathique Étiquette de Procureur.
- Bonjour monsieur, vous me reconnaissez ?
- Oh oui, vous avez eu la meilleure note en dissertation du sourire ! Vous avez eu 21 !
- Pas 20 ?
- Non, je vous assure que le rédacteur était trop impressionné pour commettre un tel euphémisme. Courte mais efficace, votre diatribe !
- En effet.
- Vous voyez !
- Bien sûr. Mais encore, n’a-t-il pas ajouté de commentaire ?
- Ah si, je me souviens, dit-il en se tapant la tête. Il a dit que l’on devrait suivre votre proposition pastorale de la création d’une loi du sourire et d’une institution de formation du visage !
- Mais c’est bien ça, mais c’est très très bien, dis-je en feignant de pleurer. Je suis heureuse !
- Le Président de la République lui-même a tenu à se déplacer pour vous déverser une médaille absolument bienheureuse !
- Merci, sniiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiff, heureusement qu’en ma possession je possède un valeureux mouchoir !
Je pleure, encore et encore, de joie cela va sans dire, évidemment je fais semblant mais après tout…
Pour la première fois depuis bien des années…
Je m’amuse un peu.
Légèrement bien évidemment, mais je suis rassurée car peut-être alors finirai-je rieuse et pleine de joie ? Intérieurement fort logiquement, car je compte être la directrice de l’Institution du Sourire dans laquelle j’enseignerai pour tous les récalcitrants, c’est-à-dire les petits délinquants se permettant de récidiver dans la bienveillance gratuite et trop visible. J’inciterai à la délation, le courage de l’utile plainte auprès des forces de l’ordre !
Pardon, la République incitera.
Vous… construirez… vos propres institutions de la totale compréhension du Bien-Être.
Je suis arrivée à la salle de spectacle, remplie à ras bord. Je suis la goutte d’eau qui fait déborder le vase des applaudissements, des rires et de la joie, des caméras de surveillance absolument sympathiques et tournées vers le progrès, je monte sur scène.
- Je suis là, tous !
- Houuuuuuuuurraaaaaaaaaaaaa, houuuuuuuuuuuuuuuurraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa, hourraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa ! Clap clap clap, clap clap clap ! Siiii-rèèène ! Clap-clap-clap, Siiiiiiiiii-rèèèène, clap-clap-clap ! Siiiiiiiiiiiii-rèèèèène ! Clap-clap-clap.
- Je suis en effet très encouragée par votre puissance accélératoire et volubile, celle-là même qui – clin d’œil – m’a inspirée pour le concours ! C’est grâce à vous que je suis procureure, et j’irai même encore plus loin, c’est vous qui m’avez élue !
- Ouaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiis !
- Je suis ravie de vous avoir pour public ! J’espère accéder à une haute et longue carrière devant moi, parfaite et sans embuche ! Je gagnerai toujours vous verrez, je serai i-rré-ppro-chable dans la répression des délinquants !
- Et des criminels !
- Et des criminels ! Tolérance zé-ro ! Trop d’amour : au trou ! C’est l’un des freins les plus dangereux pour la société, c’est lui qui nous a foutu dans la crise, on le dit trop peu souvent ! Il faut être réaliste, nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours !
- Ouaiiiiiiiiiiiiiiiiiiis !
- To-lé-rance-zé-ro ! Avec moi, les peines seront VRAIMENT appliquées ! Des milliers de places supplémentaires en prison seront créées !
- Ouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiis !
- Ne cédez jamais à la Tentation Bisounours !
- Nooooooooooooon !
- Jamais !
On me file une bouteille d’eau. Merci jeune homme, j’avais très soif.
- Oh, que vois-je ? Ne serait-ce pas… Monsieur le Président de la République Chérie ?
- Lui-même ! répond-il. Le président répond toujours présent pour déverser les médailles, surtout lorsqu’elles s’adressent aux doués du scolaire, la seule norme qui vaille !
- Je suis première, j’ai réussi les tests !
- Oui, vous méritez donc une médaille !
- Je pleure de joie…
- Je crois qu’on avait remarqué, héhé…
Il monte sur scène et…
- Oh, je ne tiendrai pas monsieur : une médaille, rien qu’à moi la… médaille… d’OR ! Sniiiiiiiiif… Je suis tellement… heureuse… Cela fait tant de temps que j’attends ce moment. Je suis si… joyeuse, si… délicate et pure. Je suis contente d’être arrivée première, cela veut dire que je suis très intelligente. Vous m’avez remis des notes excellentes, 21 ! Je vais dès lors me baisser pour me faire déverser le signe de ma supériorité bienheureuse.
Si j’avais su que je m’amuserais de cette Tragique Mascarade ! Elle ne me révolte ni ne m’ennuie – pour l’instant.
- NON, ne vous baissez pas ! Auparavant, il vous faut sucer de la datte.
- Sucer de la datte ?
- Bien sûr !
Un cortège arrive, portant à bout de bras un splendide et gigantesque trône dans lequel se trouve, confortablement installée sur un coussinet, une datte.
- Sucez de la datte, jeune première ! m’engorgent délicatement ces hommes si charmants.
Je la suce, à l’immense joie du public à l’air si soulagé.
- J’aime la datte ! Heureusement, car sinon j’aurais été bête.
Tout le monde rit.
- Encore une preuve de ma Supérieure Intelligence !
- J’espère qu’un jour, je deviendrai comme toi ! s’exclame un petit garçon.
- Je l’espère aussi ! Veux-tu… monter sur scène ?
Sa mère pleure de joie, tout étonnée de la gigantesque faveur offerte à sa propre progéniture, que peut-être un jour j’enlèverai. Sauf s’il est élevé sévèrement, la base de la base de la règle ambivalente. On vit pas dans un monde de Bisounours !
- Eh ben petit garçon, on est timide ?
- Non je viens.
- Viens auprès de moi… Voiiiiilà. Comment t’appelles-tu ?
- J… Je sais pas.
- Enfin, tu dois bien te rappeler ?
- N… non !
- Tu n’es pas stupide, quand même ?
- J’ai de très bonnes notes à l’école.
- Le niveau baisse… Cela ne présage rien de bon pour nos chers chérubins !
- Non le niveau il baisse pas !
- Bien sûr que si, sinon tu ne serais pas premier, toi qui n’oses même pas parler en public. La timidité c’est de la bêtise !
- Mais j’ai VRAIMENT oublié !
- Oui ! confirme sa mère. Il souffre parfois d’amnésie momentanée : il s’appelle François.
- C’est joli, François, mais vous l’enfoncez ! J’espère pour vous deux que cette arriération mentale – momentanée, encore heureux – s’éclipsera le vite possible. C’est très handicapant dans le monde d’aujourd’hui, qui n’a rien à voir, je vous le rappelle, avec celui des Bisounours.
- Je suis pas timide c’est juste que parfois j’ai des trous.
- Eh ben c’est de l’arriération mentale momentanée ! Et ça dit bien ce que ça dit : le niveau ne cesse depuis des décennies de baisser, il y a un véritable gouffre entre nos générations ! Tu as quel âge ?
Il ne répond pas. Il pleure et retourne à sa place. Sa mère prend sa défense.
- Monstre ! Vous n’avez pas honte ?!
- Vous l’élevez trop gentiment, le voilà le problème, vous le gâtez, vous ne le préparez pas à affronter les problèmes de ce monde ! Vous avez intérêt à vous reprendre sinon… couic ! Je vous l’enlève !
- Vous n’avez pas le droit !
- Bien sûr que si. Bien bien, d’autres questions ?
Tout le monde est terrorisé. Le président prend la parole.
- Elle a raison, le niveau baisse et…
- … Il faut vous reprendre, cela relève de votre responsabilité ! Je propose d’établir des cours d’éducation à chaque futur parent.
- Mais c’est une très bonne idée !
- Bien. C’est bien gentil mais maintenant j’ai du travail, j’ai une affaire à préparer.
- Mais, mais… bien sûr ! Quel courage ! Heureusement que vous êtes née, l’intelligence manquait dans nos contrées…
- Oh, merci ! Snifff…
- Enfin, ne faites pas la chochotte, vous savez bien que j’ai raison.
- Nooooon, pas avant mes résultats au concours avant je savais pas mais maintenant je sais que je suis une surdouée.
- Ooooon l’aaaapplaudiiiit bien foooort !
- Ouiiiiiiii, on vous aiiiiime, Sirèèèèène ! La fermeté nous a manqués !! Siiiiiiii-rèèène, prééésiiiideeeente !
- Snif snif je suis charmée, bien heureusement qu’un mouchoir me détient pour… me protéger. Snif !
- Et voici le Principal Plat de l'Heureuse Journée : votre médaille !
- Oh merci, merci, merci mon Dieu de m'avoir faite intelligente...
- Houuuuuuuuuuuuuuuuuurraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !!!
Quelle journée ! Que d’émotions !
Faire semblant, ça use, ça use !
J’ai guéri, je suis énervée, enfin.
Comme quoi, il suffisait d’un rien !
Je reprends ma période volubile.
J’espère qu’elle va durer le plus longtemps possible !